« Arts & Food » instrumentalise les artistes pour servir une exposition pleine d’objets illustrant le thème de la nourriture, mais vide d’idées.
Cadrée en gros plan, Marina Abramovic mange patiemment un oignon… et pleure. La vidéo dure, longtemps, finissant par lasser le spectateur et à entamer sa résistance. Aussi ennuyeuse soit-elle, cette œuvre parvient néanmoins à mettre en jeu cette capacité de résistance au désagréable ou à la douleur qui est l’un des fondements du travail de l’artiste. Le propos a-t-il là quelque chose à voir avec les idées de nourriture, d’alimentation, de rituels ou avec l’acte de manger lui-même ? Pas vraiment. Pas plus qu’une table en bois de Marcel Broodthaers recouverte de coquilles de moules qui, pour l’artiste belge, étaient plutôt en lien avec l’artifice, les jeux de langage et la satire nationale, ni une cabane de Urs Fischer entièrement édifiée avec du pain.
À l’occasion de l’Exposition universelle, le critique d’art et curateur Germano Celant a sorti l’artillerie lourde dans les espaces de la Triennale de Milan, avec une proposition emplie de superlatifs, à commencer par ces deux chiffres qui à eux seuls donnent le tournis : 7 000 mètres carrés de surface d’exposition et plus de 2 000 objets et œuvres d’art présentés au public. Mais pour dire quoi au juste ?
Un récit sans substance
Intitulée « Arts et nourriture. Rituels depuis 1851 » – une date retenue en écho à la première Exposition universelle qui se tint à Londres cette année-là, dans l’enceinte du Crystal Palace – la manifestation se pose comme une tentative de dresser un panorama global à la fois des représentations esthétiques et des objets de design relatifs à l’acte de manger. Or si l’idée initiale a en effet pu nourrir un beau projet, elle accouche d’une proposition démesurée qui se perd vite dans les vaines circonvolutions d’un discours purement illustratif, mais nullement analytique.
S’enchaînent les vitrines emplies de vaisselle ou d’ustensiles, les éléments de mobilier ou de décoration – par exemple du beau mobilier tchécoslovaque des années 1930, qui toutefois ressemble plus à un bureau qu’à une salle à manger, ou la reconstitution d’un bar parisien des années 1900 – et pléthore de tableaux et photographies plus au moins censés figurer nourriture et rituels du partage, cannibalisme y compris.
Le problème est que l’accumulation chronologique ne dépasse pas l’illustration et jamais n’alimente une démonstration qui autour d’une telle thématique aurait pu – et dû – servir à dégager un solide discours sociologique. Le plus grave étant lorsque (ainsi que mentionné plus haut) sont convoquées tout au long du parcours des œuvres d’art qui malgré leur contenu ou leur iconographie ne sont pas à proprement parler en lien avec la nourriture, ni avec la prétendue thèse de l’ensemble. Cela ne relève que d’une chose : leur instrumentalisation.
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Triennale de Milan, de l’art d’accommoder les restes
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 1er novembre, La Triennale de Milano, Viale Alemagna 6, 20121 Milan, Italie, tél. 39 02 72 43 41, www.latriennale.org, tlj 10h-23h, entrée 12 € ou incluse dans le ticket de Expo Milano. Catalogue éd. Electa, 960 p., en cours de parution
Légende photo
Claes Oldenburg et Coosje van Bruggen, Leaning Fork with Meatball and Spaghetti II, 1994, fibre de verre peinte et polyuréthane, 334 x 130 x 99 cm. © Photo : Ellen Page Wilson, courtesy Oldenburg van Bruggen Studio et Pace Gallery.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Triennale de Milan, de l’art d’accommoder les restes