À l’occasion de l’ouverture d’« Expo Milano » sur le thème « Nourrir la planète, énergie pour la Vie », et dans le cadre de son programme culturel ZegnArt, la Fondation Zegna a accueilli le 2 mai dernier, dans les locaux de son siège milanais, une performance de Jorge & Lucy Orta accompagnée d’un parcours gustatif, dans un environnement inspiré par les archives du couturier italien.
D’où est venu votre intérêt pour la conjonction entre art et nourriture, que vous avez initiée en 1997 ?
Jorge Orta : Depuis que j’ai rencontré Lucy, il y a plus de vingt-cinq ans, tous nos projets sont basés sur le long terme et s’étalent sur un minimum de dix à vingt ans, car nous pensons que c’est dans la durée qu’un concept peut avoir du sens. Et aussi car nous avons décidé de travailler avec une interdisciplinarité dans laquelle nous engageons des penseurs de toutes sortes, des scientifiques, des philosophes… qui peuvent nous aider à construire le concept. Nous nous positionnons donc en tant qu’artistes comme des médiateurs, uniquement dans un schéma sous-jacent, et nous essayons avec tous les intervenants d’apporter du contenu ; cela demande du temps. Depuis toujours, nous nous intéressons aux projets qui touchent directement la société. En 1996 est apparue une déréglementation européenne qui a conduit à de grands déversements de lait, de fruits, etc. Nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose à faire autour de cela et avons entamé une réflexion sur les difficultés économiques alimentaires, car c’est le moment où l’on a commencé à voir des gens attendre la fin du marché pour récupérer des vivres. Aujourd’hui, tout cela est malheureusement courant, il y a eu une évolution dans le mauvais sens, mais à l’époque c’était assez choquant.
Lucy Orta : En 1997, avec un projet intitulé « Dans le même panier » au Forum Saint-Eustache, à Paris, nous avons lancé des expériences de rencontre du public autour du buffet et du manger ensemble. Puis nous avons proposé le projet « 70 x 7 The Meal Act » – dont une nouvelle étape est proposée chez Zegna aujourd’hui – qui permet de créer des chaînes de rencontres autour de thématiques de discussions. Il est accompagné d’une édition d’assiettes produites avec Royal Limoges qui déclenchent aussi des conversations. Il s’agit aujourd’hui à Milan du 37e repas ; et depuis quinze ans ce repas a pris une dimension importante avec des dizaines de milliers de personnes qui mangent autour de la même table et échangent sur des problématiques communes.
Pour cette performance, un parcours gustatif a été organisé par le chef Davide Oldani. Au-delà de questionner des réflexes sociaux, comment inscrivez-vous l’idée du goût dans votre travail ?
Jorge Orta : Chaque contexte et situation doivent être modifiés en fonction de sa réalité. Quand vous êtes confronté à des pénuries alimentaires, le goût est secondaire ; quand vous avez un excès alimentaire, le goût devient un besoin. C’est en touchant différents secteurs sociaux que nous affinons la problématique. C’est un projet assez fluctuant dans le sens où il va mettre l’accent en fonction de la société, de sa situation, de son évolution, de sa problématique économique, etc.
Vous avez développé des motifs floraux proliférants qui enveloppent l’intérieur du siège de la maison Zegna et ont servi de cadre à votre performance…
Lucy Orta : Au début du projet nous avons commencé à travailler dans les archives du Fonds Heberlein [un fonds d’archives textiles] qui a été acquis par Zegna il y a de nombreuses années. Parmi les espèces que vous voyez à l’intérieur de ces archives apparaissaient des plantes que l’on retrouve dans les menus cuisinés par le chef. Ce sont des choses qui se sont croisées, mais nous avions chacun notre regard. Lui, a vu le produit gustatif qu’il pouvait tirer de ces textiles, et nous, nous avons vu les compositions florales et les couleurs que nous pouvions en tirer pour des tableaux muraux, ici dans le bâtiment. À partir de ces documents et de nos propres archives de fleurs nous avons reconstruit des compositions. La performance se déroule au sein de ces tableaux. Des créatures des bois, en voie de disparition, sortent de cette forêt de fleurs. Elles portent des masques en laine et sont vêtues de tenues d’orchestre. Ce sont en fait des musiciens qui viennent jouer des sons de la nature avec des petits sifflets en bois, des appeaux, qui développent chaque son en fonction d’une écoute approfondie des oiseaux et les reproduisent avant de disparaître. J’espère que les spectateurs ont pris conscience de cette idée de disparition.
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Jorge & Lucy Orta : « Nous réfléchissons aux projets qui touchent la société »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Jorge & Lucy Orta : « Nous réfléchissons aux projets qui touchent la société »