Avec l’ouverture de son siège milanais, la Fondation Prada s’impose dans un paysage culturel italien où l’art contemporain reste marginal.
Elle se voit de loin, sorte de vigie lumineuse, même par mauvais temps. Recouverte de feuilles d’or, la tour qui domine le site de la Fondation Prada, à Milan, accroche immanquablement le regard. Avec les moyens financiers conséquents qui sont les siens, la maison de luxe n’a pas fait dans la demi-mesure, mais sans non plus chercher à donner dans l’emphase ni le tape-à-l’œil, comme cette entrée en matière pourrait le laisser croire. C’est bien là la réussite de l’entreprise de réhabilitation d’une ancienne distillerie du début du XXe siècle menée par l’agence OMA de Rem Koolhaas, qui après l’acquisition d’un somptueux palazzo vénitien dote la Fondation créée en 1993 d’un deuxième site à la mesure de ses ambitions, que l’on sait importantes. Eu égard à sa localisation, elle pourrait connaître une fréquentation bien plus importante qu’à Venise, d’autant que Milan, pourtant deuxième ville d’Italie, est toujours dépourvue de musée d’art contemporain.
11 000 m2 de planchers sont dévolus aux expositions, sur un site d’une emprise de 19 000 m2. Parmi les dix corps de bâtiments, trois nouveaux ont été conçus par l’architecte, qu’il est ingénieusement parvenu à insérer entre les édifices existants tout en ménageant des circulations logiques et aisées, mais aussi des perspectives et des jeux de reflets où se perd le regard. Ont ainsi été édifiés un cinéma recouvert d’un revêtement en miroir – qui, pour l’inauguration, accueille une rétrospective des films de Roman Polanski et ceux qui l’ont le plus influencé – et surtout une galerie centrale baptisée le Podium, aux façades complètement vitrées et aux parois recouvertes d’une mousse d’aluminium exposée à haute température. Il sera intéressant de voir si ce formidable espace aux niveaux de sols décalés et adaptables supportera l’adjonction de cimaises pour y présenter de la peinture ou de la photographie, ou s’il demeurera « condamné » à n’exposer que de la sculpture, comme c’est le cas aujourd’hui.
Réviser ses classiques
L’historien de l’art Salvatore Settis a, pour l’inauguration, pris possession des lieux avec une exposition inattendue, « Serial Classic », qui s’intéresse à la notion de copie et de sérialité dans la statuaire romaine. Ce qui bien entendu n’est pas sans faire écho à des problématiques contemporaines. Ainsi le Discobole du Musée du Vatican fait-il face à des répliques nombreuses, anciennes elles aussi. Tandis qu’une vitrine contenant de multiples fragments en bronze provenant d’Olympie atteste de l’importance de la copie pour l’étude et la connaissance ; puisque des 3 000 statues du site grec, n’en subsistent qu’une seule et quatre cents fragments. Le reste du site accueille une sélection d’œuvres de la collection, près de 80, qui seront encore plus nombreuses lorsque sera achevée une tour de neuf étages encore en construction, dont six seront dévolus à la présentation de grandes installations. Si l’on retient une grande installation de Louise Bourgeois et un vaste ensemble d’œuvres de Robert Gober réparties dans l’édifice doré, c’est dans la dénommée Galerie Sud que s’épanche l’esprit de cette collection, dans un accrochage intitulé « An Introduction ». S’en détachent deux caractéristiques notables : elle est dominée par les grands maîtres de l’art italien et américain et ne fait place qu’à des noms déjà confirmés, ne s’aventurant donc jamais sur le terrain d’un art émergent, même déjà un peu identifié. Les artistes les plus jeunes étant de la génération des Francesco Vezzoli ou Elmgreen & Dragset, plus vraiment des jeunes pousses. Le visiteur néanmoins ne boude pas son plaisir, passant d’une sculpture monumentale en fausse fourrure de Pino Pascali à des œuvres des années 1960 d’Edward Kienholz, ou à une grande salle accrochée comme dans un salon, dans laquelle se mêlent allègrement Carla Accardi, Lucio Fontana, Alberto Burri ou Roy Lichtenstein. Réussie est également l’installation d’un studiolo de la fin du XVe siècle qui sert d’écrin à deux boîtes de Joseph Cornell et à une œuvre de Vezzoli empruntant au vocabulaire religieux. Ce qui ressemble à un esprit de synthèse qui semble animer cette fondation : celui d’un contemporain classique.
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L’art contemporain sous les ors de Prada
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 24 août ; AN INTRODUCTION, jusqu’au 10 janvier 2016 Fondazione Prada, Largo Isarco 2, 20139 Milano, tél. 39 02 5666 2611, www.fondazioneprada.org, tlj 10h-21h. Catalogue « Serial Classic », éditions Progetto Prada Arte, 392 p.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : L’art contemporain sous les ors de Prada