Après Londres et Berlin, le Centre Pompidou accueille une magistrale rétrospective consacrée au peintre allemand, dont l’œuvre se situe à la jonction du pictural et du politique.
Tandis que l’artiste vient de célébrer ses 80 ans, quelque cinq décennies d’une carrière remarquable de cohérence se déroulent au Centre Pompidou, à Paris, après deux étapes à Londres et à Berlin. Cinquante ans de carrière et une obsession : œuvrer à la défense de la peinture et de sa crédibilité, médium remis en cause souvent, malmené parfois. Une obsession toujours d’actualité à l’époque du numérique, alors qu’une récente série de rayures colorées, des impressions sur papier, est le fruit du découpage informatique d’un tableau existant (Strip, 2011) ; même si l’innovation chez Gerhard Richter n’est pas tant un problème de technique que de savoir quel traitement appliquer à une image.
C’est la principale réussite de cet accrochage, qui rejette la stricte chronologie au profit de regroupements thématiques, que de rendre parfaitement lisible une ubiquité constamment entretenue par le maître allemand. Celui-ci s’est en effet toujours refusé à choisir entre figuration et abstraction, jusque dans ses travaux récents où les deux approches coexistent encore. Dès 1968, alors que déjà les deux voies avaient été ouvertes, un Paysage urbain Paris où le motif semble se désagréger fait figure de charnière, de point de bascule à partir duquel on ne penche définitivement ni d’un côté ni de l’autre.
Or, plus qu’un arrêt sur image repris de la photographie dans un vertigineux piège pour le regard, ou qu’une capacité inventive dans le champ de l’abstrait, ce qui frappe à la traversée de ce « Panorama » est une perpétuelle réflexion sur l’espace et sa complexité en particulier. Car même si les tableaux abstraits sont eux aussi devenus des instants figés, ces images précises sont à percevoir également – et surtout –, au-delà d’impressions rétiniennes, comme des sensations diffuses. Manifeste y est la présence de couches antérieures recouvertes et partiellement découvertes par le biais du racloir, donc d’un ailleurs à saisir par indices, subtils ; en témoigne notamment la magistrale série de six toiles exécutées en hommage à John Cage (2006). La complexité du tableau chez Richter réside en outre dans un double mouvement qui aborde l’œuvre dans son ensemble, entre espace pictural et pensée politique.
Flou et réalisme
Le pictural est travaillé à travers la volonté de manier à la fois la construction et la déconstruction de l’image. Un bel exemple en est donné avec une suite de quatre petits tableaux de 1991 provenant de la Collection Frieder-Burda, où un paysage campagnard hyperréaliste « s’abstractise » progressivement jusqu’à presque se dissoudre. Il pourrait symboliser un monde en transformation constante, comme le pointe également une inventivité formelle sans cesse en marche dans le champ abstrait, passant des grilles aux formules plus gestuelles ou lyriques. Dans une salle centrale du parcours sont accrochées deux œuvres clés : une huile sur toile longue de 20 mètres dont la texture laisse à imaginer qu’ont fusionné là peinture et photographie (Trait (sur rouge), 1980), et une accumulation de plaques de verre, magnifique synthèse d’une pensée traitant la peinture comme à la fois un outil de réflexion de sa propre image et une fenêtre donnant à voir le monde (11 panneaux, 2004).
C’est dans cette manière de jouer avec une forme de personnalisation de la peinture que Richter, à toutes époques, aborde le tableau, en entrant de plain-pied dans le politique, l’autre affaire d’une vie. Si dès 1963 des avions bombardiers font leur apparition, à intervalles réguliers l’artiste affronte l’histoire, la sienne et celle de l’Allemagne mêlées, de la déchirure intime personnifiée sous les traits d’un oncle portant l’uniforme nazi (Oncle Rudi, 1965) à celle d’une nation lorsque, en 1988, il consacre une bouleversante série de tableaux à la mort des terroristes de la bande à Baader, le 18 octobre 1977. Dans de nombreux portraits de ses proches faisant partie intégrante de cette histoire avec un grand H, flou et réalisme extrême se côtoient encore. Tout chez Richter procède effectivement de la vision complexe d’un monde impossible à circonscrire. C’en est là la force.
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Richter ou la complexité du monde
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Camille Morineau, conservatrice au Musée national d’art moderne
- Nombre d’œuvres : env. 150
Jusqu’au 24 septembre, Centre Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue, 144 p., 44,90 €, ISBN 978-2-84426-574-6.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Richter ou la complexité du monde