Au-delà du réel

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 juillet 2012 - 491 mots

Avec ses grandes images qui semblent surexposées ou fantomatiques, Vera Lutter développe un regard singulier sur la réalité.

Osons l’invention d’un acronyme : le travail de Vera Lutter, mis à l’honneur par le Carré d’art à Nîmes, fait figure de véritable « Opni », un objet photographique non identifié ! Voilà une pratique tout ce qu’il y a de plus classique, celle de la camera obscura, mise au service d’un enregistrement photographique de paysages tout ce qu’il y a de plus réels, et qui, sans retouches ni interventions d’aucune sorte, dévoile après exposition du papier puis passage dans les traditionnels bains de révélateur et de fixateur des images totalement irréelles, aux textures étranges, devenant parfois presque fantomatiques.

Car en aménageant une pièce, lorsqu’elle travaille en milieu urbain, ou un conteneur, quand elle investit des territoires ruraux ou industriels, l’artiste allemande ne fait pas que créer les conditions d’une prise de vue où, à travers un trou, le réel va venir s’imprimer directement sur le papier ; elle se donne aussi du temps. Là réside la clef de sa pratique, celle d’une image chargée par le temps long, qui toujours dans son titre indique la durée d’exposition du cliché, d’une journée à trois mois pour l’expérience la plus longue.

Or, outre qu’elle enregistre sur le papier le motif comme en négatif, le dispositif temporellement étendu permet non seulement de s’amuser des atmosphères à travers l’intensité des contrastes – quand le jour succède à la nuit par exemple –, mais encore d’enregistrer des détails, mieux, des particules, le fugace que l’œil ne peut d’ordinaire percevoir mais qui là laisse des traces de son passage. Jouant plus encore avec les bouleversements imposés au regard, l’artiste a longuement travaillé sur deux séries exécutées dans son atelier et dans une ancienne usine où, afin de complexifier l’image et de repousser encore les limites de la réalité, elle a suspendu dans les lieux des miroirs ou des images exécutées antérieurement au même endroit. Se mêlent alors positif et négatif dans une complète mise en abyme défiant les limites conceptuelles de l’image, où l’œil ne peut plus savoir ce qui est quoi (Séries « Studio », 2003 et « Pepsi Cola Interior », 2004).
Plus récemment, remettant son travail en perspective, Vera Lutter s’est tournée vers la vidéo en enregistrant pendant vingt-quatre heures, sur un plan fixe, le chant des rossignols dans la campagne (One Day, 2012). L’objet de son attention y est invisible et l’œuvre fait là encore montre de contradictions qui permettent de développer une paradoxale et fascinante vision du monde, à la fois forte et captivante tout en étant totalement dématérialisée… et obligeant à voir différemment.

VERA LUTTER

- Commissaire : Françoise Cohen

- Nombre d’œuvres : 21


Jusqu’au 16 septembre, Carré d’art – Musée d’art contemporain, place de la Maison carrée, 30000 Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, carreartmusee.nimes.fr, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, coéd Carré d’art/Hatje Cantz, Ostfildern, 144 p., 35 €, ISBN 978-3-7757-3278-9.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Au-delà du réel

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