Si le maître s’entourait de praticiens pour mener à bien ses projets sculptés dans le marbre, sa « maniera » reste présente dans toute son œuvre.
Poussière, peintures effritées, parquets troués…, la rénovation de fond dont rêvait l’hôtel Biron connaît sa première phase. Tandis que les visiteurs toujours plus nombreux peuvent accéder aux salles restées ouvertes dans une moitié du bâtiment, l’esprit de Rodin semble, lui, s’être réfugié loin des travaux. En l’attente d’un nouvel écrin, les collections de marbre sont présentées dans la salle de la chapelle et révèlent, au fil d’un parcours chronologique, la tournure évanescente qu’ont pris l’âme et le geste du sculpteur avec les années. Si plusieurs expositions au Musée Rodin ont déjà salué le travail de ses collaborateurs dans les domaines de la photographie et des arts décoratifs, le nom de ses praticiens orne ici chaque cartel. « Rodin. La chair, le marbre » propose non seulement d’observer les chefs-d’œuvre du maître sous un jour nouveau, mais rend un hommage appuyé aux équipes qui ont contribué à sa renommée.
La formule de Michel-Ange, selon laquelle il travaillait le marbre pour libérer la forme qui en était prisonnière, est célèbre. Les mentions et références au génie italien sont nombreuses dans le catalogue qui accompagne l’exposition, ce à plus d’un titre. Si les deux sculpteurs virtuoses possédaient l’incomparable talent de créer des formes enivrantes à partir d’un simple bloc de pierre, tous deux faisaient appel à des techniciens du marbre pour mener à bien leurs projets. Une division du travail identique à celle qui régissait les ateliers de la Renaissance et qui a longtemps été reprochée aux sculpteurs du XIXe siècle, comme le rappelle la directrice du musée, Catherine Chevillot, dans l’essai introductif au catalogue de l’exposition : « C’était les évaluer selon un mètre étalon qui n’était cependant pas en vigueur au temps de leur création. Les marbres et les pierres […] étaient élaborés par les praticiens comme les plâtres par le mouleur et les bronzes par le fondeur. Connues de tous, ces habitudes alors ne gênaient personne. » « Usine Rodin » avait même écrit une cliente sur une enveloppe adressée au maître…
Audaces scénographiques
Le travail de recherche des équipes du musée est mis en valeur par une scénographie originale signée de l’artiste-architecte Didier Faustino et son Bureau des mésarchitectures, que l’on connaît par ailleurs pour la « H Box » d’Hermès, l’espace « Body in Transit » présenté à la Biennale de Venise en 2000, et la manifestation bordelaise « Evento ». Chose suffisamment rare pour être signalée, une lumière bienvenue entre par les vitraux habituellement occultés et dissimulés derrière des cimaises le long du bas-côté gauche de la chapelle. Ce détail architectural confère une atmosphère aussi bourgeoise qu’intimiste à la première partie du parcours réservée aux bustes et petits groupes d’inspiration XVIIIe siècle. Le bois, tantôt brut, tantôt peint en gris clair, est omniprésent sur le sol, et guide le visiteur à travers les œuvres par le biais d’un jeu de rampes qui offre une multitude de points de vue. Si les couleurs naturelles des éléments se répondent entre elles, la scénographie joue l’opposition du froid/marbre des sculptures et du chaud/bois des socles évoquant un chantier. La disposition des groupes sculptés multiplie les audaces tant et si bien que certaines œuvres célèbres sont méconnaissables : La Danaïde (1885) se présente par les jambes, Le Baiser (v. 1882) se découvre par le dos massif de Paolo, La Petite Fée des eaux (1903) sort de sa vasque pour se retrouver nez à nez avec le visiteur… Tandis que les points de vue originaux se succèdent, la main du sculpteur se fait moins précise, presque plus faible. C’est un autre maître de la Renaissance qui est ici invoqué : Léonard de Vinci. La dentelle exquise du col de L’Orphelin alsacienne (1871) a démontré que Rodin pouvait faire dans le détail coquet. Seulement, avec l’âge, c’est le sfumato qu’il préfère traduire dans la pierre. Marie Fenaille, la tête appuyée sur la main (1912-1913) n’est plus une femme endormie, gorge offerte, mais un paysage montagneux. Et comme Léonard, Rodin ne prend plus la peine de finir ses œuvres.
- Commissaire : Aline Magnien, conservatrice en chef du patrimoine et responsable des collections du Musée Rodin
- Scénographie : Didier Faustino (Mésarchitecture)
Jusqu’au 3 mars 2013, Musée Rodin, 79, rue de Varenne, 75007 Paris, tél. 01 44 18 61 10, www.musee-rodin.fr, tlj sauf lundi 10h-17h45, 10h-20h45 le mercredi. Catalogue, coéd. Musée d’Orsay/Hazan, 232 p., 35 €, ISBN 978-2-7541-0634-4
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Chez Rodin et Cie
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Chez Rodin et Cie