De nombreux dispositifs, publics et privés financent en France directement la création en arts plastiques pour un montant annuel d’environ 50 millions d’euros. Leur délicate évaluation renvoie à la question des critères.
Alors que le sculpteur doit payer un fondeur ou une matière première parfois coûteuse, les peintres, dessinateurs, graveurs ont, eux, des frais de production négligeables. D’autres œuvres coûtent aujourd’hui plus cher à produire : les installations et les vidéos par exemple. Ce phénomène a contribué, dans les années 1970, à la mise en place de dispositifs d’aides à la création. Parallèlement, la volonté de protéger un métier fragile, des aléas de la crise et du marché a contribué au bien fondé d’une politique de soutien financier direct aux artistes, au moment de « l’explosion budgétaire » des années 1980 décrite par Raymonde Moulin (1). Depuis lors, l’État compense l’incapacité ou la réticence du marché à reconnaître d’emblée la valeur des œuvres (donc à subvenir aux besoins des artistes) en procédant à des commandes, des acquisitions et distribue des bourses ou allocations.
L’aide à la diffusion, la conservation et l’action culturelle est le ressort d’une politique culturelle efficiente. Nous avons choisi d’analyser ici uniquement le soutien à la création stricto sensu, autrement dit la production d’œuvres nouvelles. Quel est le périmètre de l’aide à la création sur tout le territoire ? Qui finance les œuvres produites en France, en dehors des artistes eux-mêmes ?
De nombreux dispositifs publics
Derrière la politique publique de « soutien à la création » se trouve aujourd’hui une multitude d’acteurs et de dispositifs. La direction générale de la création artistique (DGCA) précise : « Le programme “Création” soutient la diversité et le renouvellement de l’offre culturelle à toutes les étapes de la vie d’une œuvre : commande, création, production, diffusion et conservation » des arts plastiques. 66,4 millions d’euros (M€) y sont consacrés. Frais de fonctionnement déduits, l’aide directe est de 46,30 M€, chiffre globalement stable depuis trois ans. Une large part (27,40 M€) revient aux lieux de diffusion et de production (Frac, centres d’art, Palais de Tokyo, Cité de la céramique et Jeu de paume). Le reste est dédié aux équipements (9 M€), aux acquisitions et commandes publiques (4 M€), aux associations, galeries et salons du secteur (4 M€), aux métiers d’art enfin (1,2 M€). Il reste, stricto sensu, 800 000 euros à destination des artistes en tant que personnes physiques, par l’intermédiaire des aides individuelles à la création (600 000 euros) et des aides à l’installation (200 000 euros), aides distribuées par les Drac sur dossier à 295 artistes (une quinzaine par région).
Il faut naturellement élargir le périmètre aux nombreuses structures qui ont pour mission principale ou secondaire de financer des œuvres. Ce périmètre réel intègre ainsi les commandes publiques (1,70 M€). Puis il faut considérer la part des budgets des Frac dédiée aux commandes et projets spéciaux (moins de 10 %, généralement). Pour les 48 centres d’art conventionnés, la proportion varie de 10 à 30 %. Idem pour le Palais de Tokyo et pour de nombreux salons, biennales et résidences subventionnés. Les galeristes voient leur rôle de producteur reconnu, avec le fonds d’avance remboursable aux galeries d’art (Farga), doté de 800 000 euros en 2014 sous l’administration de l’Institut de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC, lire page suivante). L’aide directe à la création parait faible. Selon nos calculs, le périmètre réel de soutien à la création par la DGCA oscillerait entre 7 et 11 millions d’euros par an.
Le centre national des arts plastique (CNAP) distribue pour sa part environ 450 000 euros d’aides directes aux artistes (au titre du soutien pour le développement d’une recherche, de l’aide à la production, de l’allocation exceptionnelle et de la commande publique déléguée), et 1 million d’euros en périmètre élargi (acquisitions d’œuvres existantes exclues). Enfin, l’ADAGP redistribue annuellement au secteur les revenus perçus au titre de la taxe sur la copie privée. En 2014, 847 000 d’euros sont allés à des salons, biennales et festivals, où la part de financement d’œuvres nouvelles existe, mais est a priori modeste.
Pour être exhaustif, il faudrait comptabiliser les dépenses fiscales liées aux acquisitions par des entreprises (article 238 bis AB du Code général des impôts). Un montant complexe à consolider pour Bercy, tout comme il est difficile d’estimer la part du mécénat culturel fiscalement déductible, qui aboutit véritablement à la production d’œuvres plastiques.
Commande publique et 1 % artistique
À côté de ce premier ensemble, d’une dizaine de millions d’euros, la commande publique des collectivités territoriales constitue l’autre financement majeur de la création, notamment grâce au 1 % artistique. Selon le ministère de la Culture, depuis la simplification de la loi en 2005, les collectivités ont investi près de 60 millions d’euros dans 840 projets. Soit un chiffre annuel autour de 5 millions d’euros, frais déduits. Devant le succès de cette loi, certaines collectivités ont généralisé la mesure, même lorsqu’ils n’en avaient pas l’obligation légale. Par exemple, sur la vingtaine de projets mis en œuvre par le Conseil général de Seine-Saint-Denis depuis 2013, une petite moitié seulement est soumise au 1 % légalement. L’investissement global se chiffre pourtant autour de 600 000 € par an pour ce seul département. De la même manière, de grands travaux pouvant durer jusqu’à cinq ou six ans donnent lieu à d’ambitieuses commandes publiques impliquant tous les échelons territoriaux. On pense notamment au tramway parisien (15 M€), à la commande Garonne, à Bordeaux (8 M€ de budget prévisionnel) ou à l’opération Rives de Saône, à Lyon (5 M€). La multitude de petits projets rend l’évaluation financière totale difficile. Mais ceux des grandes agglomérations constitueraient à eux seuls, selon plusieurs spécialistes, un total annuel variant de 8 à 12 M€ sur la France (hors 1 %).
Indépendamment de cette quinzaine de millions d’euros annuelle pour le financement d’art public, de quels autres dispositifs jouent les collectivités ? Au sein de la mosaïque territoriale, une grande diversité prévaut. Les régions, dont 80 % des dépenses consistent en subventions (2), sont traditionnellement peu tournées vers les arts plastiques (chiffres 2010). Entre 2002 et 2010, elles y consacraient entre 1 et 4 millions d’euros en moyenne, acquisitions du Frac incluses, soit entre 2 et 11 % de leur budget culturel (3). Le financement direct de la création y est rare. Par exemple, la région Rhône-Alpes aide ses galeries d’art à financer un stand dans des foires internationales, subventionne plusieurs résidences, facilite l’accès à des ateliers, mais dans des montants très modestes à l’échelle d’une grande région.
Villes et départements
Dans les départements, l’essentiel du financement de la création est le fait du 1 % (et assimilé). Quelques fonds départementaux d’art contemporain inégalement dotés (de 20 000 et 100 000 €) procèdent à des commandes. De rares musées départementaux constituent des collections par des commandes (Haute-Vienne, Val de Marne) (3), faits modestes mais remarquables à cet échelon.
Côté villes enfin, les profils varient tout autant. Dans une petite préfecture comme Auxerre (35 000 habitants), l’action pour les arts plastiques se résume à l’école des beaux-arts. À Rennes (environ 200 000 habitants), il existe des aides individuelles (bourses et commandes à hauteur de 36 000 euros) et des subventions aux structures de diffusion et de production déjà aidées par la DGCA dont la biennale, qui consacre un tiers de son budget aux commandes. La communauté de communes est un échelon supplémentaire parfois très dynamique pour l’art public. Bordeaux cofinance, d’un côté, un programme majeur d’art public (Garonne) et, de l’autre, vient d’annoncer la mise en œuvre d’aides individuelles (inférieures à 10 000 euros) pour… quatre dossiers arts plastiques en 2015 ! À Paris, les aides individuelles à la création ont été suspendues en 2014, mais la seule Nuit Blanche, financée à hauteur de 1,20 M€, consacre près de 30 % de son budget à des commandes. À l’échelle nationale, le ministère et ses opérateurs diversifient les formes d’aides à la création, mais réservent l’aide individuelle à une infime proportion des quelque 60 000 artistes recensés par les caisses de sécurité sociale (dont la majorité, de plasticiens, pourrait postuler à de telles aides). À côté des 783 millions d’euros distribués par le CNC, ou des 667 versés par la DGCA au spectacle vivant, seuls les budgets des grands équipements et les commandes publiques représentent des financements d’échelle – à peine – comparables. Le grand enjeu est de déterminer selon quels critères (lire page suivante) on peut juger de l’utilisation pertinente et équitable de ces ressources, pour en optimiser l’allocation.
(1) Raymonde Moulin, L’artiste, l’institution et le marché, Champs, 2009. (réed.)
(2) Marie Deniau, Agir dans le domaine des arts plastiques, territorial éditions, 2013.
(3) Culture Chiffres, Les dépenses culturelles des collectivités territoriales, MCC, 2014.
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Qui finance la création en France ?
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Abonnez-vous dès 1 €Commande publique de Jessica Stockholder : maquette d’étude pour "Los pès del parpalhòl", oeuvre conçue pour la cour de l'école occitane Calandreta Còsta Pavada et provisoirement installée dans l'hémicycle des Abattoirs à Toulouse en 2013 © Jessica Stockholder
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : Qui finance la création en France ?