La rémunération des artistes pour la présentation publique de leurs œuvres dans le cadre d’une exposition fait débat au sein des institutions, notamment en ce qui concerne les œuvres acquises dans leurs propres collections.
France. C’est un sujet sensible. « Extrêmement sensible », même, selon Platform, l’association qui réunit les vingt-trois Frac hexagonaux. Tellement brûlant que rares sont les interlocuteurs à accepter d’en parler ouvertement. De peur de sembler à contre-courant ? Depuis novembre dernier, le ministère de la Culture « recommande un minimum de rémunération au bénéfice des artistes au titre de la présentation publique de leurs œuvres dans le cadre d’une exposition monographique ou collective ». Ce droit d’exposition fait l’objet d’un texte de la DGCA (Direction générale de la création artistique) rédigé après consultation d’un groupe de travail réunissant les organismes de gestion collective, les associations de diffuseurs de l’art contemporain et le service des musées de France. « Ce minimum de rémunération doit être appliqué obligatoirement par les structures subventionnées par le ministère de la Culture », précise la DGCA. Il s’inscrit dans une volonté de rémunérer les artistes au-delà des seuls frais de production des œuvres. « C’est un changement d’état d’esprit, une prise de conscience de la nécessité d’intégrer une rémunération des artistes dans les budgets des lieux de diffusion », estime François Quintin, conseiller pour les arts visuels auprès du ministère.
« Cela faisait longtemps qu’il y avait de la part des artistes une revendication à cet endroit », rappelle Béatrice Salmon. L’actuelle directrice du Cnap a rouvert ce dossier lorsqu’elle occupait le poste de directrice adjointe chargée des arts plastiques au sein de la DGCA, de janvier 2018 à octobre 2019. « Il suffisait d’être à l’écoute pour entendre que ce point était important. Dans mes fonctions précédentes [directrice du Musée des beaux-arts de Nancy, puis du Musée des arts décoratifs], j’avais pu constater que l’on ne respectait pas nécessairement ce droit, voire qu’on ne considérait pas son existence. Il me semblait donc essentiel de faire en sorte que nos pratiques changent », affirme-t-elle.
Le fait de rémunérer les artistes pour la présentation de leur œuvre « n’était pas forcément une pratique courante », convient également Julie Narbey, directrice générale du Centre Pompidou, « qui souhaite s’inscrire dans ce changement ». « Nous travaillons actuellement à une grille de barème », explique-t-elle. La DGCA préconise pour sa part une rémunération minimum de 100 euros par artiste dans le cadre d’une exposition collective réunissant plus de dix artistes. « Mais nous voulons faire mieux, assure Julie Narbey. Le Centre, qui est une institution regardée, doit donner l’exemple. »
Ces bonnes intentions achoppent cependant sur la question du droit à la rémunération des œuvres présentes dans les collections des institutions. « Là où cela devient absurde, c’est que si la mesure s’appliquait aussi aux œuvres des collections publiques, celles-ci devraient donc payer deux fois, en faisant l’acquisition des œuvres, puis en versant 100 euros à chaque fois qu’elles seraient exposées », s’insurge un directeur de Frac. Or, comme le rappelle François Quintin, « deux droits de propriété coexistent : un droit de propriété sur le support physique de l’œuvre et un droit de propriété intellectuelle sur son exploitation (dont le monopole revient à l’auteur) ».
L’emprunt d’une œuvre au Cnap impliquera d’ailleurs désormais que l’emprunteur s’engage sur ce point : « Cela peut installer ce droit comme un réflexe, de la même façon que l’on règle les frais d’assurance. Nous sommes en train de réécrire nos contrats de prêt dans cette perspective », explique Béatrice Salmon. Une petite révolution culturelle.
Mais qui aura les moyens de la financer ? Les Frac redoutent ainsi que si ce droit s’applique aux œuvres de leurs collections, les collectivités qui les subventionnent jugent au final trop dispendieux, voire inutile, de contribuer à leur acquisition, leur stockage et leur conservation des œuvres. Ne suffirait-il pas en effet de simplement les « louer » ? C’est là encore, un choix de politique culturelle qu’il s’agira de faire.
« Quand on acquiert une œuvre, le droit de monstration, sorte de droit de location en fait, n’est pas logique, car on aurait alors moins intérêt à acheter, ou sinon à un prix inférieur qui prendrait en compte le coût des futures monstrations. Ou bien, on montrerait moins les œuvres en cas de problème budgétaire, ce qui est un risque d’invisibilisation. On le sait déjà, les œuvres les plus chères à installer sont beaucoup moins exposées. D’ailleurs, c’est un critère de choix dès le moment de l’acquisition », observe une conservatrice qui préfère garder l’anonymat et qui précise : « Je pense qu’il faudrait plutôt payer des honoraires quand il y a un travail, par exemple lorsque l’artiste consacre des journées entières à monter son exposition. Ce serait juste. »
Le débat n’est pas clos. Le cas des œuvres acquises par des institutions doit faire bientôt l’objet d’un groupe de travail spécifique réuni par la DGCA et comprenant des représentants du ministère de la Culture, de musées, de Frac, de centres d’art et de collectivités territoriales. À suivre.
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Le droit de présentation des œuvres suscite des inquiétudes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°546 du 22 mai 2020, avec le titre suivant : Le droit de présentation des œuvres suscite des inquiétudes