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François de Mazières : « La loi "création et patrimoine" comporte des lacunes considérables »

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 15 septembre 2015 - 1825 mots

VERSAILLES

Le maire de Versailles et député des Yvelines François de Mazières critique le projet de loi relatif à la création et au patrimoine

François de Mazières maire Versailles
François de Mazières, maire de Versailles et président de la Communauté d’agglomération Versailles Grand Parc
Photo Mélanie Frey

L’actuel maire de Versailles a un long parcours dans la culture. Cet énarque (55 ans), inspecteur des finances, a présidé de 1999 à 2002 la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture et dirigé la Fondation du patrimoine jusqu’en 2002 avant de devenir le conseiller culture de Jean-Pierre Raffarin à Matignon, entre 2002 et 2004. Il a été président de la Cité de l’architecture et du patrimoine de 2004 à 2012, année où il devient député. Il commente en particulier le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, pour laquelle il procède actuellement aux auditions.

Pourquoi avoir publié dans le quotidien « La Croix » un texte pointant la baisse des crédits du patrimoine ?
Parce que je veux alerter sur une situation préoccupante. La baisse du budget de la Culture en 2013 et 2014 a surtout touché le programme Patrimoine, avec une coupe de 110 millions d’euros. C’est malheureusement un grand classique. Quand il y a nécessité de faire des efforts budgétaires et que c’est appliqué au ministère de la Culture, c’est toujours d’abord le budget du patrimoine qui se trouve amputé. Ce n’est pas propre à cette période-là, mais ici l’ampleur de la coupe est très significative. Elle est même étonnante par rapport à un discours qui se veut positif sur la culture. Et cette baisse des crédits se répercute d’année en année, ce qui a été coupé en 2013 et 2014 continue à être coupé en 2015.
Dans le même temps, les dotations de l’État aux collectivités locales ne cessent de diminuer. Et quand on sait que les Villes financent 75 % de la Culture, on ne peut qu’être inquiet. À Versailles, cela représente 8 points d’impôts locaux.

Versailles va-t-elle signer un « pacte culturel » avec l’État ?
Non, au début j’étais demandeur, mais quand j’ai constaté que ces pactes ne font pas augmenter les aides de l’État qui sont pourtant très faibles pour la ville de Versailles, j’ai fait machine arrière. Ce qui n’empêche pas que je vais maintenir le budget culture car je suis très volontaire en la matière.

Pourquoi votre proposition d’un tirage spécial du Loto pour financer le patrimoine au moment des Journées du patrimoine n’a-t-elle pas été retenue ?
Je ne sais pas et je n’ai même pas reçu de réponse de la part du ministère de la Culture ! Pourtant le directeur des Patrimoines était intéressé et j’ai reçu le soutien de Patrick Bloche (PS), président de la commission des Affaires culturelles à l’Assemblée nationale. En fait, c’est une vieille idée à laquelle beaucoup de pays européens ont recours et que j’ai eue lorsque j’étais directeur général de la Fondation du patrimoine. Cette idée est même à l’origine de la constitution du « G8 Patrimoine », qui rassemble les associations nationales du patrimoine bâti et paysager et s’impose aujourd’hui comme un interlocuteur des pouvoirs publics. À l’époque, le ministère des Finances s’y était déjà opposé, craignant que l’on ouvre la boîte de Pandore.

Pourquoi êtes-vous peu favorable à la « Villa Médicis » de Clichy-Montfermeil ?
Je n’ai jamais trouvé ce projet emballant, même quand [l’ancien ministre de la Culture] Frédéric Mitterrand l’a proposé. Je comprends le bénéfice sur le plan de la communication, la banlieue, un lieu difficile, mais objectivement, quand on est un touriste étranger, est-ce que c’est vraiment là qu’on a envie d’aller ? C’est un projet coûteux, près de 30 millions d’euros sont annoncés, auxquels vont s’ajouter les habituelles dérives budgétaires plus d’importants frais de fonctionnement pour faire venir les artistes. Est-ce vraiment la priorité quand on sait qu’il existe partout des écoles d’art où l’on pourrait accueillir des artistes en résidence ? Ne vaudrait-il pas mieux créer une coordination qui permettrait d’essaimer, plutôt que de polariser sur un lieu dans un moment budgétaire difficile ?
Par ailleurs, ce qui me gêne c’est que l’on veuille en faire un lieu pour la diversité culturelle, et fixer ces jeunes artistes dans leur propre environnement alors qu’il faudrait les envoyer ailleurs, à la rencontre d’autres milieux.

Vous procédez actuellement aux auditions parlementaires dans le cadre de l’examen de la loi « création et patrimoine » ; quel est votre sentiment général sur cette loi ?
Elle part de bonnes intentions, mais elle arrive bien tard, et c’est une loi fourre-tout, cela ressemble à la loi Macron. On ne voit pas l’idée directrice, il fallait d’abord séparer le patrimoine et la création. Je vois beaucoup de déclarations d’intention positives, mais pas la nouveauté, l’imagination. Cette loi comporte également des lacunes considérables, par exemple sur la formation artistique, le patrimoine paysager et le patrimoine vernaculaire, le petit patrimoine de proximité. Il faudrait au moins en faire l’inventaire. Et puis elle amène des inquiétudes nouvelles.

Quelles sont ces inquiétudes ?
Cela concerne en particulier la fusion des trois régimes différents d’espace sauvegardé en celui, seul, de « Cité historique », et son passage au régime du plan local d’urbanisme (PLU). Or le PLU, c’est le maire qui décide, alors que précédemment toutes les protections figuraient dans un cahier des charges qui s’imposait à lui. Par ailleurs, la loi NOTRe étend la charge de l’urbanisme et donc le PLU aux intercommunalités. Personnellement je suis aussi président d’une intercommunalité et j’en ai une vision assez claire. Le maire est plus sensible aux questions patrimoniales que le président de l’intercommunalité. Quand vous êtes maire et que vous avez un patrimoine, vous avez une sensibilité, vous connaissez cela de façon tangible, c’est chez vous, et donc vous restez prudent. Le président de l’intercommunalité, dans la très grande majorité des cas, ne sera pas le maire de la ville qui a un projet de réaménagement du patrimoine. Il y sera donc indifférent, il sera beaucoup plus préoccupé par la question des quotas de logements sociaux que par celle du patrimoine. Il peut même y avoir des problèmes de personnes, et le président de l’intercommunalité qui ne s’entend pas avec le maire doté d’un patrimoine va plus facilement répondre favorablement aux demandes des promoteurs.

Mais vous qui stigmatisez le jacobinisme culturel (1), n’est-ce pas aller dans le sens de la décentralisation ?
Il faut confier les responsabilités au bon niveau. Il y a des choses sur lesquelles l’élu a besoin d’être protégé vis-à-vis de ses administrés. Ceux-ci exercent une pression économique et foncière terrible. L’État, avec sa connaissance, sa légitimité, est un rempart. La décentralisation a besoin à la fois d’autonomie financière – ce qui est en train de nous être enlevé –, et de remparts. L’élu ne peut pas être toujours au feu tout seul.

Êtes-vous favorable au projet de construction d’un hôtel en bordure de l’Orangerie ?
Oui, je l’ai dit à plusieurs reprises. Ce bâtiment situé à l’extérieur du parc est très abîmé, il servait de mess aux officiers. Soit l’État le rachète – mais il n’a pas d’argent –, soit on le réhabilite de manière vivante comme cela a été fait avec l’hôpital Richaud (lire le JdA no 435, 8 mai 2015). En fait c’est un vieux projet. C’est Jean-Jacques Aillagon [alors président du château de Versailles] qui avait lancé un appel d’offres en ce sens il y a cinq ans. La procédure est aujourd’hui relancée car l’hôtelier qui avait été choisi n’a finalement pas donné suite.

Qu’allez-vous faire de l’ancienne caserne Pion à l’ouest du parc que vous avez rachetée 7 millions d’euros plus 4 millions pour dépolluer le site ?
J’ai été attaqué sur le thème « ce terrain doit revenir au château ». Or, c’est l’État lui-même qui veut s’en défaire et en obtenir le prix maximum. Nous avons acheté la caserne pour éviter l’implantation de grandes surfaces ou une promotion immobilière mal maîtrisée. Le paysagiste Michel Desvignes, qui connaît bien le paysage XVIIe, devrait redonner un peu de prestige à cette zone jusqu’alors occupée par des entrepôts minables. L’idée est de construire une terrasse, des « logis promenades » et des immeubles peu élevés en jouant la carte de la « ville-nature », un concept que l’on développe à Versailles. Je vous livre un scoop : j’aimerais que chaque logement ait un jardin ou une terrasse.
Je suis très pingre sur les dépenses de la Ville, mais je suis prêt à faire des efforts importants si c’est l’histoire du patrimoine qui est en jeu parce qu’il s’agit de long terme.

Vous n’étiez pas très favorable à l’ouverture tous les jours du château de Versailles. Que pensez-vous de la proposition du président de la République de réserver le septième jour aux scolaires ?
Le président avait fait une annonce sans qu’il y ait eu une consultation des intéressés, notamment des conservateurs, ni une étude d’impact. À l’époque, j’avais en effet exprimé mon inquiétude devant le risque que faisait courir à un monument comme le château de Versailles un usage ultra intensif où tous les visiteurs souhaitent découvrir les mêmes pièces emblématiques. La solution qui est proposée est donc plutôt habile car elle répond à un vrai besoin, celui de la sensibilisation des enfants à l’art et l’histoire ; l’on peut supposer que le château mettra en place un autre parcours que la visite habituelle pour permettre aux espaces les plus sollicités d’être entretenus. Il faut protéger ces bâtiments sur le long terme au détriment de la culture consumériste.

Comment réagissez-vous aux récentes inscriptions portées sur l’œuvre d’Anish Kapoor ?
J’ai tout de suite fait savoir mon indignation devant ces inscriptions parfaitement nauséabondes, ces allusions racistes explicites sont scandaleuses. Personnellement j’aurais préféré qu’elles soient immédiatement effacées. Elles n’apportent rien à l’œuvre et vont continuer à faire parler d’elles alors que de tels actes isolés venant d’ultras méritent seulement le mépris. Il est dommage d’offrir cette vision de notre pays aux visiteurs étrangers.

Quel est selon vous le profil idéal d’un ministre de la Culture ?
Il n’y a pas de CV idéal, mais il vaut mieux bien connaître les dossiers et le monde culturel pour faire les bonnes nominations, et bien sûr il faut être passionné et avoir l’oreille du président.

Seriez-vous intéressé par ce ministère ?
Moi ? J’ai un parcours très développé dans la culture, mais pour être ministre il faut hanter les antichambres, ce qui n’est pas ma tasse de thé. Je trouve par ailleurs que les capacités d’action d’un ministre de la Culture sont de plus en plus limitées. Je suis ainsi critique sur la loi « création, architecture et patrimoine », mais je reconnais que ce n’est pas facile dans la crise actuelle des finances publiques de donner un souffle à la culture. Ce qui me passionne, c’est l’action concrète. Aujourd’hui, mes mandats exercés dans une ville superbe et au Parlement m’en donnent la possibilité et je m’y consacre pleinement.

Note

(1) François de Mazières, La culture n’est pas un luxe. La fin du jacobinisme culturel, éd. Eska, 1999.

Légende photo

François de Mazières. © Photo : Mélanie Frey.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°441 du 18 septembre 2015, avec le titre suivant : François de Mazières : « La loi "création et patrimoine" comporte des lacunes considérables »

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