VERSAILLES
PATRIMOINE. Il faut d’abord souligner que la promesse de la création d’un loto du patrimoine figurait aussi bien dans les programmes du candidat Alain Juppé, longtemps donné favori dans les sondages, que des deux finalistes Emmanuel Macron et François Fillon.
Un consensus rare dans les programmes des candidats à une élection présidentielle, qui montre à quel point ce projet était arrivé à maturité, malgré la résistance longtemps acharnée de Bercy, qui ne voulait pas ouvrir une brèche autre que celle déjà existante pour le financement de la politique du sport.
Chaque année, un prélèvement de 1,8 % sur les sommes misées par les jeux est en effet effectué au profit du Centre national de sports (article 1609 novovicies du code général des impôts), dans la limite d’un plafond fixé en loi de finances initiale. Pour étendre au patrimoine le bénéfice d’une partie des fonds tirés de la loterie, je proposais en 2001, en tant que directeur général de la Fondation du patrimoine, l’union des grandes associations nationales du patrimoine autour de ce combat commun. Ce fut l’occasion de créer ce que nous avons appelé alors le G8 du patrimoine, réunissant les huit plus grandes associations nationales du patrimoine – structure informelle devenue aujourd’hui G11 – très utile à la coordination du monde associatif du patrimoine. Je suggérais alors, pour contourner l’opposition du ministère du Budget, de démontrer que la mobilisation des nombreux amoureux du patrimoine pourrait élargir le nombre des joueurs à la loterie et, ce faisant, ne pas diminuer les recettes perçues par l’État ; d’où l’idée de créer un tirage spécial pour les Journées du patrimoine. Proposition que j’essayais de faire aboutir dès le budget de 2004, étant alors conseiller pour la Culture de Jean-Pierre Raffarin. Mais ce dernier venait d’accepter de faire l’ouverture de la loi sur le mécénat (la loi Aillagon) et, cette fois-ci, Bercy se cabra et obtint gain de cause. La première réelle ouverture intervint en 2010, Christine Albanel étant ministre de la Culture. Une fraction de 15 % de la taxe de 1,8 % sur les jeux d’argent et de hasard en ligne fut attribuée au Centre des monuments nationaux (CMN), dans la limite de 10 millions d’euros en 2010 et 2011 et de 8 millions d’euros en 2012 et 2013, avant malheureusement d’être supprimée. Pour remédier à cet abandon, élu député en 2012, j’obtins, lors de l’examen du projet de loi finances (LFI) pour 2015, grâce au soutien de Patrick Bloche, président de la commission culture, l’adoption d’un amendement obligeant le Gouvernement à remettre un rapport sur la création d’un tirage spécial lors des journées du patrimoine dont le bénéfice serait attribué au CMN.
N’ayant pas obtenu le rapport en temps utiles, je présentais, en juin 2015, lors de l’examen de la loi Création architecture et patrimoine, un nouvel amendement attribuant le bénéfice de ce tirage spécial à la Fondation du patrimoine, système finalement retenu en 2017, grâce notamment au très efficace travail médiatique et de persuasion mené par Stéphane Bern. Il est intéressant de se reporter au rapport finalement remis par le Gouvernement en 2016 pour mesurer le potentiel d’un tel recours à la loterie. Le rapport reconnaît que : « L’idée de mettre en place un financement du patrimoine par les fonds issus des recettes du loto s’inscrit en effet dans une tendance européenne amorcée dans les années 1990 et… qu’au Royaume-Uni, les fonds issus des loteries représentent environ 40 % du total des dépenses gouvernementales en faveur de la culture et que l’Héritage Lottery Fund permet d’investir l’équivalent de 450 millions d’euros par an dans les projets culturels. » Il cite également l’exemple de l’Italie, où une partie des recettes des fonds de loteries finance la politique culturelle dans un plafond fixé chaque année qui peut atteindre jusqu’à 155 millions d’euros. Des perspectives très importantes, aussitôt tempérées par une conclusion totalement négative, montrant qu’un tirage spécial pour les journées du patrimoine sous forme d’un jeu de grattage rapporterait moins de 5 millions d’euros et qu’ouvrir une telle brèche serait prendre un bien trop grand risque pour le budget de l’État.
Si l’avancée de la loi de 2017 est donc remarquable, elle ne doit cependant pas cacher les inquiétudes du monde du patrimoine, qui restent entières et sont principalement au nombre de quatre.
Le président Macron et son Premier ministre Édouard Philippe ont clairement donné des instructions pour que le loto du patrimoine soit une réussite. La recette attendue a été prévue aux alentours de 20 millions d’euros, sachant que les pouvoirs publics peuvent jouer sur plusieurs paramètres pour obtenir ce montant. Si cette somme n’est pas négligeable, elle n’aura finalement permis de sélectionner qu’une vingtaine de projets d’ampleur relativement modeste par rapport aux grands chantiers patrimoniaux. Elle reste en effet marginale comparée aux 400 millions d’euros qui correspondent à l’étiage annuel considéré comme satisfaisant par les spécialistes, pour les crédits affectés au patrimoine, hors musée archives et archéologie. Un montant d’autant plus nécessaire à préserver que la notion de patrimoine s’est considérablement élargie avec notamment un intérêt accru porté au patrimoine du XXe siècle et aux espaces naturels. La première donnée qui montrera donc la volonté des pouvoirs publics de faire un réel effort en faveur du patrimoine sera le maintien, voire le renforcement de cette enveloppe, sans que les montants tirés du loto en soient soustraits. Ce qui sera une évidente tentation de Bercy dans les années à venir. La loi de finances pour 2018 ne tombe pas dans ce travers, puisque les crédits consacrés au patrimoine (actions 1 et 2 du ministère de la Culture) se montent à 365 millions d’euros en crédits de paiements, soit une quasi-stabilité par rapport à 2017 et à 408,13 millions d’euros en autorisations d’engagement soit une légère hausse de 6,50 millions d’euros par rapport à 2017.
La France a organisé son système de protection autour des architectes des bâtiments de France. Déjà le projet de la loi CAP avait fait frémir le monde du patrimoine, mais grâce à un travail parlementaire très approfondi, les erreurs du projet gouvernemental initial avaient pu être évitées. Le débat parlementaire autour de la loi Elan sur sa partie patrimoniale a été nettement plus sommaire et l’on peut notamment regretter la diminution des pouvoirs des architectes des bâtiments de France dans les secteurs sauvegardés, puisque désormais un simple avis et non plus un avis conforme est exigé pour y détruire les immeubles menaçant ruine. Un exemple très concret de menace de destruction de maisons anciennes à Perpignan a pourtant mobilisé le monde du patrimoine pendant la discussion de la loi devant le Parlement. Un mauvais service rendu au patrimoine.
La restauration et l’entretien des bâtiments historiques demandent une formation spécifique. Aujourd’hui, clairement, les compétences manquent. Dans les départements, les services territoriaux de l’architecture et du patrimoine de l’État (STAP) sont submergés et fonctionnent avec des effectifs beaucoup trop réduits pour faire face aux demandes formulées par les collectivités locales, associations et propriétaires. Les services des Directions régionales des affaires culturelles (Drac) sont dans une situation pire encore et ont été, pour beaucoup d’entre eux, profondément perturbés par le récent redécoupage régional. Dans les écoles d’architecture, la formation au patrimoine est quasi inexistante, sauf quelques rares exceptions. L’école de Chaillot dispense une excellente formation, mais à un nombre très réduit d’élèves.
La perte de moyens budgétaires des communes est considérable, que ce soit via la baisse des dotations de l’État, la disparition progressive de la taxe d’habitation ou l’encadrement budgétaire très sévère des grandes communes. Or, les communes sont les premiers acteurs, avec bien entendu les propriétaires privés, de la préservation de notre patrimoine construit et naturel. Un simple exemple tiré de mon expérience de maire. La Ville de Versailles a un patrimoine d’églises très important. Les dépenses indispensables à l’entretien de la seule église Notre-Dame de Versailles (monument, puisque construit par Mansart) sont estimées aujourd’hui à plus de 10 millions d’euros. La Ville de Versailles, qui a subi des baisses très fortes des dotations issues pourtant des lois de décentralisation et une croissance très rapide de prélèvements redistributifs opérés par l’État, est totalement dans l’incapacité de faire face à cette dépense à elle toute seule. J’ai donc proposé, un plan de financement pluriannuel, où la Ville mettrait 500 000 euros par an pendant dix ans, cofinancé avec l’État. La réponse de l’État via la DRAC a été : « Nous comprenons votre difficulté, mais c’est impossible, nous disposons seulement d’un million d’euros par an pour tous les édifices religieux de toutes les Yvelines. » Une situation impossible pour les mairies, qui est incontestablement le principal danger qui menace aujourd’hui notre patrimoine.
Dans cet état de lieux préoccupant, malgré l’embellie médiatique autour du loto du patrimoine, la mission confiée à Philippe Bélaval par la ministre de la Culture pour faire des propositions de réforme est attendue avec impatience. Le choix de ce fin connaisseur du patrimoine qui a montré dans tous ces postes une remarquable capacité à trouver des solutions pragmatiques est en tout cas excellent.
François de Mazières est maire de Versailles et président de la Communauté d’agglomération Versailles Grand Parc depuis 2008
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Loto du patrimoine : une avancée à consolider
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°506 du 7 septembre 2018, avec le titre suivant : Loto du patrimoine : une avancée à consolider