PARIS
Les musées de Montpellier et de Toulouse signent une démonstration magistrale sur le maître lombard et le caravagisme européen.
Bénéficiant de nombreux prêts obtenus grâce au réseau franco-américain Frame (French Regional American Museum Exchange) dont ils sont partie prenante, les musées des Augustins, à Toulouse, et Fabre, à Montpellier, ont uni leurs forces pour construire un parcours sur Caravage (1571-1610) et le caravagisme européen. Un mouvement qui a pour centre névralgique Rome, d’où il essaime à Naples, Gênes, Séville, Bruges, Utrecht, Anvers, Amsterdam, Aix-en-Provence et Bologne. « Il est finalement très rare que deux musées travaillent à une seule et même exposition, en mutualisant les moyens et les énergies. Nous avons fédéré deux capitales historiques du Languedoc, chacune marquée par le caravagisme, pour évoquer ce grand moment de l’histoire culturelle européenne », expliquent les commissaires Michel Hilaire, directeur du Musée Fabre, et Axel Hémery, à la tête du Musée des Augustins.
En 2010, la France était restée à l’écart des célébrations organisées autour du 400e anniversaire de la mort de Caravage et, depuis l’exposition sur les caravagesques français, en 1974, suivie, en 1983, de celle sur la peinture napolitaine de Caravage, peu de manifestations avait mis le maître lombard à l’honneur dans l’Hexagone. Les attentes étaient donc grandes. Les résultats sont à la hauteur des espérances, comme le montre, dès les premières salles, la démonstration montpelliéraine consacrée au caravagisme dans le sud de l’Europe. Pas moins de neuf toiles du peintre italien y sont réunies. Y figurent les œuvres de jeunesse parmi lesquelles le Jeune garçon mordu par un lézard (vers 1594), que Caravage réalise à l’âge de 23 ans et dont le prêt constitue à lui seul un événement puisque la fondation florentine qui le conserve n’est accessible qu’aux chercheurs. À ses côtés prennent place L’Extase de saint François (v. 1595-1596) provenant du Wadsworth Atheneum à Hartford et Le Sacrifice d’Isaac (1603), propriété de la Galerie des Offices, à Florence. Leur succèdent Salomé recevant la tête de saint Jean-Baptiste (1609-1610) de la National Gallery de Londres, dont le réalisme des figures amplifie le caractère dramatique de la scène ; La Flagellation du Christ (v. 1606-1607) conservée à Rouen, ou encore le perturbant Amour endormi (1608), saisi dans un sommeil profond et plongé dans la pénombre, un tableau du palais Pitti (Florence).
Ces œuvres bouleversantes marquent en profondeur les contemporains de Caravage. Orazio Gentileschi, dont est présentée Judith et sa servante (1621-1624) ainsi que Danaë (1622-1623), provenant respectivement de Hartford et Cleveland, est ainsi un des premiers suiveurs de l’artiste. Comme le montre le parcours, nombreux sont les artistes installés à Rome, qui, dans les années 1620-1630, deviennent adeptes de la pittura al naturale de Caravage et s’adonnent au clair-obscur pour traiter la figure humaine avec réalisme, dans des mises en scène théâtrales. Citons à ce titre Bartolomeo Manfredi ou Valentin de Boulogne, dont « l’acuité psychologique », la « tendresse sincère pour les êtres, son humeur sombre souvent teintée de mélancolie », en font, selon Michel Hilaire, l’un des héritiers les plus authentiques de Caravage. Autres figures majeures de cette peinture caravagesque : Nicolas Tournier, Claude Vignon, Nicolas Régnier et Simon Vouet, représenté par La Diseuse de bonne aventure (1620) prêtée par Ottawa, et un Saint Jérôme et l’Ange (1622) venu de Washington.
L’exposition explore aussi les marges du caravagisme, avec Leonello Spada, auteur de La Lamentation sur le Christ mort (v. 1610-1611), toile acquise en 2011 par le Musée Fabre. Marqué par l’éclairage nocturne caravagesque, Georges de La Tour clôt le parcours, qui se conclut de manière grandiose avec des prêts tels Le Tricheur à l’as de carreau (v. 1630-1635) provenant du Louvre, La Madeleine à la flamme fumante (vers 1636), de Los Angeles, ou Le Nouveau-né (vers 1645) du Musée des beaux-arts de Rennes.
Caravagisme nordique
Moins spectaculaire mais non moins passionnante, la démonstration toulousaine révèle les figures du caravagisme nordique, marquée par la prééminence d’Utrecht. Dominent dans cette école : Hendrick Ter Brugghen, rentré de Rome dès 1614 où il importe le style caravagesque ; Dirck Van Baburen, réputé pour ses personnages expressifs, et Gerrit Van Honthorst. Connu en Italie sous le nom de « Gherardo delle Notti », Honthorst est l’auteur de cet impressionnant Samson et Dalila (v. 1615) et de deux grandes représentations du Reniement de saint Pierre aujourd’hui exceptionnellement réunies : l’une (1618-1620) est conservé à Rome, l’autre, datée entre 1620 et 1625, se trouve à Minneapolis. Mentionnons encore Matthias Stom, que cette exposition a le mérite de réhabiliter. Peintre hollandais parmi les plus productifs de la mouvance caravagesque, il a longtemps été boudé par la critique en dépit de ses talents de coloriste et sa personnalité poétique. Son important corpus – il est l’auteur de plus de 150 tableaux identifiés – pose de sérieux problèmes de datation. La présente manifestation a permis à Axel Hémery d’émettre quelques propositions d’ordre chronologique. Difficiles à saisir, les caravagesques flamands trouvent dans les figures de Gerard Seghers, Jan Janssens et Theodoor Rombouts leurs meilleurs représentants. Ils nous ramènent de manière singulière au génie du caravagisme auquel Montpellier et Toulouse ont su rendre un hommage magistral.
Jusqu’au 14 octobre, Musée Fabre, 39 bd Bonne-Nouvelle, 34000 Montpellier, tél. 04 67 14 83 00, www.montpellier-agglo.com, tlj sauf lundi 10h-20h ; Musée des Augustins, 21, rue de Metz, 31000 Toulouse, tél. 05 61 22 21 82, www.augustin.org, tlj 10h-19h et 21h le mercredi. Catalogue, Cinq continents Éditions, 500 p., 39 €, ISBN 978-88-7439-569-9.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Dans la lumière du Caravage
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Richter ou la complexité du monde
Chez Rodin et Cie
Misia, reine de cœur
Il était une fois 1917
Variations sur le thème babélien
« Aujourd’hui on s’autorise le récit »
Chabaud, un fauve en cage
Néo-impressionnisme belge
De Nantes à l’« Estuaire » et vice versa
Périple musical
Les copains d’abord
Quand l’art se met au vert
Mille et un visages
Au-delà du réel
Une Documenta en ébullition
Une ville sans frontières
L’intégrale Kirchner
Comment New York…
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Dans la lumière du Caravage