UTRECHT
Le petit musée d’Utrecht aux Pays-Bas confronte trois peintres hollandais ayant fait le voyage à Rome à leur maître, dans une présentation très audacieuse qui réunit un grand nombre d’œuvres de qualité.
Utrecht. Au tout début du XVIIe siècle, trois jeunes peintres quittent la petite ville d’Utrecht aux Pays-Bas. Dirck Van Baburen, Hendrick Ter Brugghen et Gerrit Van Honthorst entreprennent, séparément et à quelques années d’intervalle, un harassant périple de 1 600 kilomètres pour rallier le centre culturel de l’Europe : Rome. Comme tant d’autres artistes de leur temps, ils sont irrésistiblement attirés par la révolution esthétique qui se joue alors dans la Ville éternelle et dont la réputation sulfureuse résonne à travers tout le Vieux Continent : la peinture radicalement moderne du Caravage qui brise les codes avec son style dramatique et puissamment réaliste.
Ces jeunes gens – que l’histoire de l’art rassemblera ensuite sous la dénomination générique de caravagesques – veulent voir de leurs propres yeux cette révolution ; mieux encore, ils veulent y participer. Cette génération spontanée, regroupant des talents venus de France, des Pays-Bas, d’Espagne ou encore des Flandres, formera un bouillonnant creuset, dont émergeront quelques chefs-d’œuvre. Cette passionnante nébuleuse est au cœur de la nouvelle exposition du Centraal Museum à Utrecht.
Les spécialistes estiment ainsi qu’entre 1600 et 1630, Rome voit déferler plus de 500 artistes étrangers, soit 20 % des effectifs actifs sur ce territoire. Ces artistes visitent les mêmes lieux, notamment les églises et les collections privées, où sont conservés les tableaux de leur maître. Ils fréquentent aussi les mêmes tavernes et lieux plus ou moins interlopes, où ils échangent leurs idées sur l’art. Certains partagent carrément le même toit, à l’instar de Van Baburen qui eut un temps pour colocataires Nicolas Régnier et David de Haen.
Cet aréopage hétéroclite, composé de disciples pour certains dotés d’une grande force d’invention, participe en outre aux mêmes concours et se dispute les faveurs des mêmes mécènes. Entre émulation et rivalité, ils puisent dans un répertoire iconographique et thématique similaire tout en essayant de renouveler la source d’inspiration première, voire de la dépasser. Inévitablement, ces peintres, qui ont tant en commun et qui gravitent dans les mêmes cercles, s’observent et s’empruntent également des idées de composition.
Un parti pris audacieux
Pour la première exposition d’envergure consacrée aux caravagesques d’Utrecht, le musée hollandais n’a pas choisi la solution de facilité. Au lieu de monter une manifestation centrée sur les trois enfants du pays, le musée a, au contraire, fait le pari de replacer ses illustres ressortissants face à leur maître et au milieu de leurs coreligionnaires. Un choix autrement plus intéressant et enrichissant, mais extrêmement ambitieux pour un musée municipal. Véritable tour de force, le projet a nécessité pas moins de six ans de travail pour rendre compte des récentes découvertes sur ces artistes et dénouer les liens qu’ils entretenaient.
Défi supplémentaire, pour étayer cette démonstration le parcours réunit soixante-dix œuvres, pour certaines de grand format, dont soixante prêts. L’écrasante majorité des prêts n’a d’ailleurs jamais été montrée aux Pays-Bas et certaines œuvres quittent même leur lieu de conservation pour la toute première fois, à l’image du retable peint par Van Honthorst pour l’église Santa Maria della Scala et toujours accroché in situ. Les organisateurs peuvent en outre s’enorgueillir d’avoir décroché trois Caravage, dont la formidable Mise au tombeau conservée au Vatican. Le nombre impressionnant de journalistes néerlandais dépêchés pour immortaliser l’accrochage de ce chef-d’œuvre en décembre dernier et pour couvrir l’inauguration de l’exposition ne laissait d’ailleurs guère de doute sur le caractère exceptionnel d’un tel événement pour une ville de province.
Plus largement, la très longue liste de sponsors, publics et privés, ayant soutenu financièrement la manifestation atteste de l’importance de ce projet à l’échelle du pays ; tout comme le parrainage du couple royal qui a notamment fait le déplacement à Munich en 2016 à l’occasion de la signature de l’accord de coproduction avec l’Alte Pinakothek. Et à n’en pas douter cet événement fera date car, au-delà de la gageure même de la réunion d’autant d’œuvres majeures, l’exposition propose des rapprochements d’une grande justesse, et que l’on ne reverra pas de sitôt.
En effet pour obtenir ces dialogues pertinents et efficaces, les commissaires ont sollicité des prêts de toutes parts ; des plus prestigieuses collections aux institutions plus confidentielles. Les tableaux du Rijksmuseum à Amsterdam, des Offices à Florence ou du Metropolitan à New York partagent ainsi les cimaises avec des peintures venues des musées de Langres, d’Oberlin ou encore de Diest. Le choix des œuvres et leur confrontation, aussi érudite que spectaculaire, provoquent même quelques moments d’anthologie. Comme l’étourdissant festival de têtes coupées réunissant, entre autres, des pépites de Valentin de Boulogne et de Simon Vouet sous le regard halluciné de la Méduse du Caravage.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°516 du 1 février 2019, avec le titre suivant : Une exposition époustouflante sur les caravagesques