Politique culturelle

POLITIQUE CULTURELLE D’UNE VILLE

Clermont-Ferrand joue à fond la carte culture

Par Véronique Pierron · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2020 - 1140 mots

CLERMONT-FERRAND

La cité ouvrière veut faire oublier sa réputation de désert culturel et entend bien devenir « Capitale européenne de la culture » en 2028.

Le théâtre Scène Nationale. © Ville de Clermont-Ferrand
Le théâtre Scène Nationale.
© Ville de Clermont-Ferrand

Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Il y a cette cathédrale noire posée au milieu de la ville. Sa pierre de lave triomphe sur la couleur en écrasant presque les maisons voisines dont l’architecture rappelle le long passé ouvrier de Clermont-Ferrand. Perchée en haut du parc de Montjuzet, la ville offre les corolles serrées de ses immeubles et de sa vie minérale. Se trouvent pêle-mêle autour de la ceinture sombre de la cathédrale quelques maisons médiévales, corsetées par des immeubles Art déco et Art nouveau, des bâtiments ouvriers aussi, ciselant l’histoire industrielle de la ville dans ses murs et au-delà, avec la vague anarchique des barres, tours, usines, entrepôts. C’est la chaîne du Puy, noire elle aussi à contre-jour, qui ferme l’horizon de celle que l’on surnomme l’ancienne « Nemossos, capitale des Arvernes », dont l’image est étroitement associée à celle de Michelin.

Un nom qui court partout dans la ville, dans les rues, sur la place des Carmes où l’historique fabricant de pneus a son siège social, sur les frontons des stades, dans les discussions de café. À cause de ce passé ouvrier, la ville a nourri pendant des décennies un complexe, celui de ne jamais être à la hauteur pour en sortir. C’est la culture qui lui a donné du brillant. « La ville avait un retard colossal en matière culturelle, les habitants étaient en souffrance et nourrissaient un sentiment d’infériorité, pour habiter une ville dont la réputation était celle d’un endroit borgne où l’on n’accède à rien », explique Jean-Marc Grangier, directeur depuis 2002 de la Comédie, Scène nationale de Clermont-Ferrand.

À partir du début des années 2000, la ville s’est redressée et a bataillé pour se défaire de cette image peu prestigieuse qui lui collait à la peau. Les ambitions de son maire, Olivier Bianchi (PS), fraîchement réélu, sont devenues peu à peu celles des Clermontois, à l’image de ce projet décidé dès 2014 de porter la candidature de Clermont-Ferrand au titre de « Capitale européenne de la culture 2028 ». Un puissant levier pour la faire exister au sein des villes moyennes souvent bien moins enclavées et isolées qu’elle ne l’est.

Les moyens d’une ambition

À l’époque, on trouvait le maire bien présomptueux, mais l’idée a fait son chemin et aujourd’hui Clermont n’a plus à rougir de sa culture. C’est en tous les cas ce que pense Olivier Bianchi. Il défend sa ville à un point tel qu’il prend la mouche à la moindre critique. Sa bonhomie peut alors se charger d’orage. Mais les Clermontois lui pardonnent ces rugissements. « Quand Olivier Bianchi est devenu maire, la culture s’est transformée en ambition officielle, en faisant sortir la ville d’une sorte d’anathème culturel », explique Jean-Marc Grangier. Une ambition dotée d’euros bien sonnants. Le budget de la Culture est de 30 millions d’euros en 2020, soit 14 % du budget municipal global.

Bien que cela y ressemble, le maire se défend de faire du marketing territorial pour attirer populations et entreprises nouvelles, et garder les 140 000 étudiants de son université. « Je ne développe pas seulement la Culture sur des rapports de force politiques, mais pour qu’il n’y ait pas de rupture sociale car notre pays est en train de se fracturer », argumente-t-il. La Nemossos moderne peut ainsi s’enorgueillir de belles réussites. Le nouveau théâtre, labellisé « Scène nationale » et réalisé par l’architecte portugais Eduardo Souto de Moura, lauréat du prix Pritzker 2011, sort tout juste de terre (pour un coût de 38 M€). Le Festival international du court métrage, dit le « Cannes du court » (doté d’une subvention annuelle de 260 000 euros), attire tous les ans plus de 150 000 spectateurs, et la Coopérative de Mai est devenue une des places fortes des musiques actuelles. Sans oublier l’opéra, trois musées, l’Orchestre national d’Auvergne ou « Mille formes », un centre d’art contemporain inédit pour les enfants [lire l’encadré], en partenariat avec le Centre Pompidou. Un volontarisme culturel qui ne fléchit pas, ainsi le maire réfléchit-il à « la création d’une sorte de “Villa Médicis” qui accueillerait des artistes étudiants venus des quatre coins de l’Europe ».

L’art contemporain est aussi l’objet de toutes les attentions. Le Frac (Fonds régional d’art contemporain) Auvergne va ainsi déménager à la fin 2021 dans un bâtiment emblématique de la ville, la Halle aux blés. La Région a mis 14 millions d’euros sur la table pour sa restauration. « Le centre d’art va presque tripler sa surface d’exposition avec, à la clé, un nouvel espace de stockage permettant vingt-cinq années d’anticipation », s’enthousiasme le directeur du Frac, Jean-Charles Vergne. Il en profite pour confier : « Depuis trois ans, je n’expose plus les nouvelles acquisitions afin de créer un effet de surprise dans le nouveau bâtiment. »

Une ville en « Effervescences »

Le grand chantier qui succédera à celui de la Scène nationale concerne la grande bibliothèque, pour un budget de 35 millions d’euros. D’autres projets sont cependant incertains, à l’instar de celui de l’auditorium. Olivier Bianchi précise toutefois qu’une étude est en cours pour le chiffrer :« Si en 2023 Clermont-Ferrand est retenue pour être “Capitale européenne de la culture”, nous profiterons de ce financement pour le construire. »

Reste que pour éviter les fractures sociales, il faut embarquer les Clermontois dans cette candidature. C’est tout l’objectif depuis 2017 du projet « Effervescences ». Après quelques couacs, dont la rupture avec le metteur en scène Philippe Kaufmann, son premier directeur artistique, le projet a été réajusté pour « travailler le lien entre la culture et les habitants et accélérer la mutation de l’architecture ouvrière de la ville en exploitant les friches industrielles », explique sa directrice, Cécile Finot. Le budget est important puisque la Ville lui attribue tous les ans 700 000 euros, auxquels s’ajoutent 100 000 euros versés par la fondation d’entreprise Michelin. Son P.-D.G., Jean-Dominique Senard, est aussi vice-président d’Effervescences et mécène de la culture clermontoise, de la Coopérative de Mai, soutien enfin de l’art contemporain et de la Comédie. « C’est un peu notre Maja Hoffmann », glisse mi-sérieuse, mi-amusée Cécile Finot.

Mille formes, le premier centre d’art pour les enfants

Trois bébés batifolent au milieu des organes d’un corps morcelé et douillet créé par l’artiste scénographe Émilie Faïf alors que, dans un espace contigu, une forêt luxuriante imaginée par Matali Crasset, designer au Centre Pompidou, offre des perspectives de rêve à des enfants plus âgés. Au cœur de Mille Formes, tout n’est que jeu et initiation à l’art. Patrice Chazottes, directeur adjoint des publics au Centre Pompidou et pilote du projet, raconte avoir été contacté quatre ans plus tôt par la municipalité. « On a trouvé ce projet formidable», dit-il, enthousiaste. Un partenariat a rapidement été mis en place entre la Ville et l’institution parisienne. « Nous avons demandé à des artistes d’imaginer des expositions en faisant participer fortement les artistes locaux car nous voulions échapper au travers parisianiste », souligne Patrice Chazottes.

 

Véronique Pierron

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°551 du 18 septembre 2020, avec le titre suivant : Clermont-Ferrand joue à fond la carte culture

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