Le label européen brille toujours autant, à en juger par le nombre élevé de villes françaises qui ont préparé, parfois depuis plusieurs années, leur dossier de candidature.
Qui en 2028 va succéder à Paris (1989), Avignon (2000), Lille (2004) et Marseille-Provence (MP2013) au titre de « Capitale européenne de la culture » (CEC) ? Ce sera à coup sûr une ville française puisqu’il revient à la France (et à la Tchéquie qui partage le titre) de désigner la ville lauréate. Ou plutôt d’organiser la compétition, car c’est un jury européen qui va choisir en mars prochain les villes qui concourront pour la deuxième phase à l’issue de laquelle (début 2024) sera choisie l’heureuse élue.
Avec le temps et les évolutions administratives, les candidatures ont eu tendance à s’élargir à l’agglomération des villes ; leurs ramifications peuvent même comprendre l’arrière-pays voire s’étendre à tout un massif montagneux. Ce changement d’échelle ne facilite d’ailleurs pas la lecture des dossiers, entre les équipements et les manifestations projetés pour l’agglomération (qui concentrent les efforts) et ceux destinés à la totalité du territoire concerné. Les jurés sont cependant de plus en plus attentifs à ce que tous les habitants bénéficient de la programmation, ceux de l’agglomération et ceux du territoire élargi, mais aussi les populations les plus éloignées de la culture.
Ils sont également attentifs à une certaine forme de sobriété. Le temps des grands équipements, comme lors de MP2013, est révolu et l’heure est à la rénovation plus qu’à la construction, à la prise en compte écologique, à la participation active des habitants, au soutien à la création et à la diversité culturelle. Autant de caractéristiques communes que l’on retrouve dans les dossiers de 60 pages (appelés « bid books ») remis par les neuf villes candidates le 2 janvier. Pour chaque ville, la candidature a été l’occasion de s’interroger sur ses forces et faiblesses, et d’entrevoir en quoi le titre permettrait de capitaliser sur les premières et de surmonter les secondes. Un tour d’horizon des projets est proposé dans le tableau publié en pages 24-25, conçu par nos soins à partir des neuf dossiers de candidature.
Rare proposition à avoir été élaborée en interne, « Amiens 2028 » est volontiers qualifiée de « candidature maison » par Pierre Savreux (LR), vice-président de la métropole délégué à la culture. Sous son profil d’outsider, la capitale picarde formule 16 propositions concrètes pour 2028, disséminées le long de la Somme, colonne vertébrale du projet. Misant sur son fleuve, Amiens (Somme) se trouve ainsi en concurrence directe avec « Rouen Seine Normande 2028 », laquelle semble tirer un meilleur parti de son cours d’eau dans sa candidature. Sa proximité avec le Royaume-Uni lui permet toutefois d’envisager de réparer les liens distendus par le Brexit avec une grande manifestation sur la Manche.
Si la compétition pour le titre de CEC était la Coupe de France de football, Bastia serait le Petit Poucet : le plus petit nombre d’habitants, le tissu culturel et patrimonial le moins étoffé, des moyens limités… Mais Bastia est en Corse, et les Corses sont opiniâtres ; alors la ville a préparé sa candidature en respectant les figures imposées : des ateliers participatifs pour faire remonter les besoins et les bonnes idées, un comité de soutien, une figure parisienne pour diriger le projet… On n’en saura cependant pas plus. Reste que Bastia est l’une des villes qui bénéficierait le plus de l’effet de levier qu’apporterait un tel événement, à condition qu’elle parvienne à obtenir les financements nécessaires et qu’elle dispose des ressources pour mettre en œuvre son programme. Plusieurs fois dans l’histoire de la Coupe de France des équipes de National ont battu des équipes de première division.
« L’heure est aux petites villes, en équilibre avec leur environnement », analyse Pascal Keiser, commissaire de « Bourges 2028 ». Mal desservie, la capitale du Berry ? La candidature fait précisément de la mobilité bas carbone l’un de ses axes forts. En capitalisant sur ses apparentes faiblesses, Bourges (Cher) propose un dossier singulier, en phase avec le mouvement de « dé-métropolisation » consécutif à la crise sanitaire. Une candidature de la décentralisation, qui veut en finir avec l’hégémonie culturelle des métropoles mais qui devra démontrer qu’elle peut accueillir toute l’Europe dans cinq ans.
Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) se voit depuis longtemps en Capitale. Olivier Bianchi, le maire (PS), y pense depuis 2015, a préparé le terrain dès 2017 et créé une association porteuse du projet avec une dizaine de salariés dès 2021. L’élu croit fermement à ses chances car la ville coche plusieurs cases : une ville moyenne peu touristique mais qui offre de nombreux atouts naturels et culturels pour séduire les vacanciers, un vaste territoire rural sans équivalent dans les précédentes Capitales et pouvant justement faire office de laboratoire, une programmation déjà bien élaborée. Il lui reste deux écueils : convaincre le jury que ses « grandes traversées » pourront irriguer tout le Massif central et obtenir le soutien financier du président LR de la Région, Laurent Wauquiez. Le concept du programme, « terre du milieu », et ses déclinaisons penchant du côté de J. R. R. Tolkien est bien trouvé.
C’est une candidature de dernière minute, activement soutenue par la Région Occitanie. « Une candidature qui a l’accent » mais pas l’insouciance du parler méridional. Montée des eaux, croissance démographique et déclassement territorial : voilà les enjeux auxquels est confrontée Montpellier (Hérault). Peu enthousiaste au départ, Michaël Delafosse, maire (PS) de la ville, plaide pour la culture en temps de crise, dans l’objectif de créer du lien par l’art. Avec une première victoire : la métropole montpelliéraine fait dossier commun avec Sète, alors que ces deux collectivités ne se parlaient plus. Une coopération qui pourrait faire oublier l’ombre de Marseille-Provence 2013, toute proche.
Mais qu’est-ce que le titre va apporter à Nice (Alpes-Maritimes), une ville connue du monde entier qui accueille des millions de touristes et dispose déjà d’équipements culturels de qualité ?, pourront se demander les jurés. Surtout quinze ans après Marseille (MP2013), distante de moins de 200 km ! Autant dire que son maire, Christian Estrosi (LR), aidé de l’ancien ministre Jean-Jacques Aillagon, va devoir être convaincant lors de la première audition et montrer en particulier que les Niçois sont sensibilisés à la candidature et ont pris part au projet.
Reims la bourgeoise, ville du sacre des rois et des vins de Champagne ? La candidature marnaise rappelle qu’existent aussi une Reims des quartiers prioritaire et une Reims de la ruralité, une fracture qu’elle se propose de résoudre par la culture. Une démarche classique mais ambitieuse a été proposée pour associer les habitants à la programmation. Difficile toutefois pour l’heure de distinguer le rôle des maisons communautaires (qui pratiquent le « design thinking »), de celui des « cabanes de chantier » et des tiers-lieux qui animeront l’agglomération.
Un territoire qui suit la Seine, de Giverny à Honfleur : la candidature de Rouen (Seine-Maritime), à l’image de celle d’Amiens, mise sur son fleuve. Mais elle pousse le curseur un peu plus loin, en faisant de la Seine l’enjeu principal de cette année Capitale : le message de Rouen à l’Europe passera par les fleuves, grâce à un réseau de villes fluviales (Hanovre, Norwich, Aveiro) tissé pour l’occasion, et de ports d’attache répartis le long de la Seine. Axée sur le partage des connaissances et des savoirs, la candidature de Rouen a un tropisme environnemental et scientifique, et en oublie presque la culture. Elle se présente devant le jury sans programmation concrète car celle-ci sera élaborée par la suite avec les habitants : « On ne veut pas d’un programme atterrissant brutalement sur le territoire », justifie Rebecca Armstrong, la déléguée générale.
« Nous sommes une périphérie européenne, une de ces banlieues où vit un européen sur quatre », affirment haut et fort dans leur dossier de candidature Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et son agglomération. Suit un argumentaire tonique en faveur d’un titre et surtout d’une programmation qui permettront de changer le regard sur cette banlieue proche de Paris, et au-delà des périphéries similaires en Europe. « Plaine Commune », du nom de l’agglomération, va à coup sûr figurer dans la short list ; à moins que les jurés considèrent d’entrée que ce territoire atypique va déjà bénéficier des retombées des JO et de tous les programmes de l’État et qu’il vaut mieux désigner Capitale une ville moins soutenue. Un peu comme pour Nice, ce titre vise plus à conforter les Dionysiens qu’à attirer les touristes.
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Les neuf villes en lice pour le titre de « Capitale européenne de la culture 2028 »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°603 du 20 janvier 2023, avec le titre suivant : Les neuf villes en lice pour le titre de « Capitale européenne de la culture 2028 »