BOURGES
La candidature berruyère au titre de « Capitale européenne de la culture » met en avant les musiques actuelles et veut transformer gares et trains en lieux de culture.
Bourges (Cher). En 2013, Marseille – Capitale européenne de la culture cette année-là – avait oublié certains de ses artistes les plus talentueux. IAM, Psy 4 de la Rime ou la Fonky Family, figures du rap phocéen, étaient alors montés au créneau pour dénoncer une programmation snob, tournant le dos à ses propres enfants. Un épisode dont s’est souvenu Pascal Keiser, commissaire général de « Bourges 2028 », afin de faire de la programmation berruyère le contre-exemple de Marseille. « Aujourd’hui, la musique représente 25 % des industries créatives en Europe, mais seulement 5 % du budget «Europe Créative”. Pourtant le rap ou les musiques actuelles sont le meilleur outil pour transmettre des messages », soutient-il.
Avec 25 % de son budget consacré à la musique, Bourges 2028 concocte un programme musical européen, en s’appuyant sur l’expérience du Printemps de Bourges : un événement qui ouvre la saison des festivals de musique chaque année depuis 1977, reconnu comme la pépinière des nouveaux talents francophones. « Un des enjeux, c’est de profiter de l’année “Capitale” pour européaniser le Printemps de Bourges, c’est une envie partagée avec le directeur du festival. »
Axée sur l’émergence de jeunes musiciens européens, cette programmation comptera aussi de grands noms… tenus encore secrets pour ménager le suspense jusqu’au dépôt du dossier de candidature finale. La musique se déclinera parallèlement sous la forme de l’exposition « Missing women », un parcours ayant pour commissaire la cheffe d’orchestre Claire Gibault, qui mettra en exergue les femmes musiciennes effacées de l’histoire.
Les lieux où se tiendront les grandes expositions de Bourges 2028 restent encore à fixer : et pour cause, ils seront probablement mobiles. Lors de la première phase de sélection, le jury avait fait part de sa crainte d’un retard dans les grands chantiers des infrastructures culturelles destinées à accueillir l’événement, notamment les musées de Bourges, aujourd’hui fermés pour raisons sanitaires. Les quatre musées municipaux font l’objet d’un plan de rénovation, encore en phase d’étude [lire le JdA no 611, 12 mai 2023]. Pour ce vaste chantier patrimonial, le cap de 2028 semble donc prématuré. Si, dans la première mouture, 118 millions d’euros étaient consacrés à l’investissement dans ces musées, Bourges 2028 a préféré retirer certains chantiers du budget. De grands projets structurants demeurent néanmoins, comme la « Cité européenne des artistes et des auteurs », qui, installée dans l’ancien hôtel-dieu, proposera résidences, expositions et centre de ressources juridiques sur le droit d’auteur. « Nous arrivons avec une proposition assez décapante sur les infrastructures, qui permet de nous affranchir de la problématique des délais, du manque de matériaux ou de main-d’œuvre », annonce Pascal Keiser. Cette solution, elle aussi entourée de mystère jusqu’au dépôt du dossier final, résulte d’un travail de recension des bâtiments municipaux disponibles. Nul doute que l’esprit des Micro-Folies a largement inspiré ce dispositif : en 2017, Didier Fusillier, alors président de l’Établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette, avait fait appel à Pascal Keiser pour assurer le commissariat artistique de ces petits musées mobiles et numériques qui, au nombre de 1 000 environ aujourd’hui, irriguent le territoire français.
Les Micro-Folies faisaient déjà partie du premier dossier de candidature présenté au jury en février dernier : l’idée était alors de transformer des équipements de Vierzon (Cher), Bourges et Nevers (Nièvre) en lieux d’échange, mais aussi de diffuser la programmation de la Capitale européenne de la culture sur l’ensemble du réseau national des Micro-Folies. La mobilité du dispositif teinte désormais le reste du programme : la grande exposition consacrée au manuscrit Les Très Riches Heures du duc de Berry sera ainsi itinérante, afin de confronter les miniatures médiévales aux paysages qu’elles illustrent. De même pour le partenariat noué avec le Centre Pompidou, qui s’étendra à toute la région Centre-Val de Loire, à partir d’un « grand projet mettant en avant la décentralisation culturelle ». Un avant-goût sera donné cet automne avec le festival « Archipel », qui présente des œuvres du Musée national d’art moderne dans cinquante-quatre lieux de la région.
Enclavée et moins accessible que ses concurrentes, Bourges a fait de la mobilité le sujet central de sa candidature. Une grande partie des manifestations se tiendra ainsi dans les gares et les trains. Six gares du réseau SNCF – dont une parisienne – deviendront les lieux « totems » de la Capitale, avec « des interventions architecturales et artistiques d’ampleur », et des expositions. Dans les trains, Bourges 2028 proposera du spectacle vivant, pour un rayonnement hors des frontières de la région Centre, jusqu’au reste de l’Europe. Cet été, elle dévoilait un prototype de cette programmation axée sur les mobilités, avec un « RER » très ironique : un bus bas carbone lancé sur les routes du Berry et faisant étape dans des sites comme l’abbaye de Noirlac ou les marais de Contres où des interventions artistiques étaient à découvrir. Ce dispositif en rodage reviendra en force en 2028, avec un « commissariat de niveau international », promet Pascal Keiser.
Malgré un budget modique, le plus petit de ceux des villes candidates en lice (40 millions d’euros, un point d’inquiétude du jury quant à la bonne réalisation du projet), Bourges 2028 offre une programmation ambitieuse en misant sur l’urbanisme transitoire et les lieux mobiles. La candidature prend également le sujet de la sobriété énergétique à bras-le-corps : elle a nommé un « commissaire carbone », chargé d’évaluer l’impact climatique de chacune des composantes de l’année Capitale, de la production des projets artistiques à l’arrivée des touristes. Une démarche de sobriété qui a une influence sur le contenu : « Nous devons construire un programme de très haut niveau, avec un déplacement d’œuvres limité. Nous ne ferons pas dix grandes expos avec des œuvres venues de New York ou Shanghaï, nous ne demanderons pas des œuvres monumentales venues de grandes fondations, explique Pascal Keiser. Il faut travailler d’une autre manière, et ça nous ouvre d’autres portes. »
Communauté d’agglomération Bourges Plus : 106 126 hab.
Un bien Patrimoine mondial de l’Unesco (cathédrale Saint-Étienne)
112 monuments historiques
5 Musées de France Une Scène nationale (maison de la culture)
Une École nationale supérieure d’art (Ensa)
Un site patrimonial remarquable
Quatre villes se retrouvent aujourd’hui en lice au titre de Capitale européenne de la culture en 2028 : Bourges, Clermont-Ferrand, Montpellier et Rouen. Elles doivent remettre leur dossier définitif début novembre et recevront en décembre des membres du jury. La ville lauréate sera annoncée en décembre 2023 après une nouvelle phase de présentation et de délibération du jury. Le Journal des Arts présente dans ce numéro la candidature de Bourges, puis celle de Clermont-Ferrand le 3 novembre, de Montpellier le 17 novembre et de Rouen le 1er décembre.
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« Bourges 2028 » mise sur la sobriété
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°619 du 20 octobre 2023, avec le titre suivant : « Bourges 2028 » mise sur la sobriété