Mal desservie, en manque de dynamisme économique, son programme, pourtant, fait de ses faiblesses un moteur et redonne toute leur valeur aux petites villes.
Bourges. À l’hôtel de ville de Bourges, la compétition pour la désignation de la Capitale européenne de la culture 2028 se résume depuis le 3 mars, date à laquelle les quatre villes finalistes ont été dévoilées, en un slogan : « Il y a deux finalistes, les métropoles et Bourges. » Le maire, comme son adjoint à la culture, aiment renvoyer Clermont-Ferrand, Montpellier et Rouen à leur avantageux statut de métropoles dynamiques, attractives et bien dotées culturellement. Et ce n’est pas pour se tirer une balle dans le pied que l’élu signale le gouffre qui sépare sa communauté d’agglomération, en matière de nombre d’habitants, de sa concurrence, mais au contraire pour souligner l’originalité et la pertinence de cette candidature : la crise des « gilets jaunes » a remis dans le débat politique une France dite « périphérique », entre ville et ruralité, soit un réseau de villes de taille moyenne dans lesquelles vivraient la moitié des européens.
« Les villes petites et moyennes souffrent d’un récit péjoratif, il ne s’y passerait rien, constate Louise Tournillon, coordinatrice générale de Bourges 2028. Mais ce sont aussi des territoires idéaux pour innover, les circuits de décision sont courts, les gens se connaissent, il n’y a pas de grosses strates administratives, et beaucoup de mutualisation. » Pour s’en convaincre, il suffit de faire le tour des lieux qui accueillaient, cet été, l’événement « Bourges Contemporain ». De la friche culturelle l’Antre Peaux à La Box, salle d’exposition de l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensa) de Bourges, en passant par La Transversale, un lieu dévolu à l’art contemporain au sein d’un lycée, tout le monde se connaît et s’entraide. Besoin d’un projecteur pour finaliser l’exposition des étudiants à La Box ? L’Antre Peaux met à disposition son matériel. Il manque des vitrines à quelques jours d’un vernissage ? Le gestionnaire du palais Jacques-Cœur pourra certainement en prêter…
« C’est simple de travailler ensemble, parce qu’on est voisins, on se croise à la boulangerie !, raconte Sandra Émonet, responsable de La Box. Dès qu’il est possible de le faire, on mutualise, il n’y a pas de logique de concurrence. J’ai travaillé dans des collectivités plus grandes où ça ne se passe pas du tout comme ça. » « Pour nous, ces collaborations sont vitales, on ne pourrait pas se débrouiller sans », ajoute Emmanuel Ygouf, professeur d’arts plastiques en classe préparatoire. À l’image de cet enseignant, qui invite chaque année artistes et étudiants de l’Ensa dans les murs de son lycée, les initiatives personnelles ou associatives forment le ciment du paysage culturel berruyer. Ainsi, l’Antre-Peaux, l’une des premières friches artistiques de France, possède une véritable expertise dans la production d’œuvres de spectacle vivant comme d’expositions. Née de la fédération de plusieurs associations, elle abrite le Nadir, une salle de musiques actuelles, et Transpalette, un centre d’art dont les expositions sont placées sous le commissariat de Julie Crenn. L’Antre Peaux organise ainsi le parcours artistique estival « Bourges Contemporain » dont c’était cette année la 4e édition.
C’est d’abord pour valoriser et consolider ce tissu artistique actif que l’idée de la candidature a été lancée : « Bourges a un héritage artistique important, une des sept Ensa, l’une des premières “friches” de France, c’est important de fédérer ces énergies autour d’un projet d’envergure », explique Yannick Bedin, adjoint à la culture à la mairie de Bourges. La Ville utilise la candidature pour structurer son écosystème culturel – facteur d’« attractivité » pour l’adjoint au maire –, mais aussi pour engager une réflexion sur certains thèmes. Comme les mobilités, véritable sujet de préoccupation pour cette ville à l’écart des grandes lignes TGV : la candidature instille ainsi l’idée d’un train de nuit européen qui desservirait Bourges, et fait état de discussions « bien avancées » avec la SNCF.
La France rurale et périurbaine est aussi au cœur de Bourges 2028, qui veut inclure tous les espaces intersticiels à sa programmation. « Les zones pavillonnaires sont un vrai angle mort. Où est-ce qu’on met de la culture là-dedans ? », demande Yannick Bedin, qui voit dans la culture un levier pour l’aménagement du territoire. « Ces orientations sont très en phase avec ce que l’Union européenne veut, analyse Anne-Marie Autissier, sociologue de la culture et des médias à l’université Paris-VIII. Les candidatures doivent être un tremplin pour une meilleure cohésion aussi bien dans la ville que dans l’agglomération. »
En transformant ses faiblesses en force motrice, Bourges 2028 répond à une exigence phare du programme Capitale européenne, attendue par Bruxelles. Mais son budget réduit, qui ne sera probablement pas rallongé, constitue un point d’inquiétude pour le jury : il s’établira autour de 40 millions d’euros, là où les « Capitales » d’Europe de l’Ouest affichent un budget médian de 60 millions d’euros. Le choix de Bourges représenterait ainsi un vrai pari, plus risqué que les métropoles, mais avec des retombées possiblement plus importantes. « Ce sera une question d’audace du jury pour Bourges, avance Anne-Marie Autissier. Va-t-il choisir une ville à taille humaine, qui a des difficultés de développement qui pourraient se régler avec la candidature ? » Des profils semblables à celui de Bourges ont déjà reçu le titre de Capitale européenne de la culture, telles Matera en Italie (2019) ou Eleusis en Grèce (2023).
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Bourges, porte-drapeau des « villes moyennes »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°619 du 20 octobre 2023, avec le titre suivant : Bourges, porte-drapeau des « villes moyennes »