BOURGES
La dimension européenne a été déterminante dans le choix de Bourges comme Capitale européenne de la culture 2028.
Bruxelles. Le rapport du jury pour la sélection de la Capitale européenne de la culture 2028 vient d’être publié ; il permet de mieux comprendre le choix inattendu de la ville de Bourges (Cher). Il remet en cause un certain nombre d’idées préconçues au sujet d’une « Capitale européenne ». On doit cette décision à un jury se composant de douze jurés dont deux Français : Anne Tallineau, directrice générale déléguée de l’Institut français, et l’historien de l’art et commissaire d’exposition Jean de Loisy. Le vote se tenait à bulletin secret, mais le rapport n’indique pas la répartition des voix.
Premier enseignement : l’éclat de la candidature ne compte pas. On pouvait le deviner lors de l’annonce le 13 décembre dernier du choix d’une petite ville face à trois grandes métropoles, et cela est manifeste dans le rapport. Le jury n’évalue absolument pas la dimension du territoire, l’attractivité de la ville candidate, l’originalité et la force du concept. L’histoire même de la ville « ne joue aucun rôle dans le processus de sélection », est-il écrit. Alors que tous les commentateurs, avant la décision, comparaient les mérites et la pertinence du Massif central et de la ruralité (Clermont-Ferrand), de la Seine normande (Rouen) ou d’une métropole en pleine ascension (Montpellier), soupesant l’effet de souffle que ces caractéristiques pourraient avoir sur le rayonnement de la Capitale, le jury s’est soigneusement tenu à distance du contexte géographique ou historique. Plus curieusement encore – pour une Capitale de la culture –, il ne s’est pas aventuré dans l’évaluation de la qualité du programme artistique des candidats, préférant, nous y reviendrons plus loin, analyser sa cohérence. Au fond, le jury a adopté une démarche ambivalente, à la fois pratique, presque comptable, et idéologique.
Deuxième enseignement : le jury est très scolaire et formel. Il évalue les dossiers à travers six critères : la contribution de la candidature à la stratégie à long terme de la ville ; le programme culturel et artistique ; la dimension européenne ; la sensibilisation (de la population) ; la gestion du projet ; la capacité des diverses collectivités publiques à tenir leurs engagements. De manière générale, il est donc particulièrement attentif à la cohérence des programmes. Il est à cet égard très critique vis-à-vis du contenu culturel de « Clermont-Ferrand Massif central 2028 », jugé trop éclectique et trop éclaté. Il fait également le même grief de manque de cohérence à Rouen, qui partage avec Clermont-Ferrand la particularité de se déployer sur un vaste territoire ; ce qui n’est pas le cas de Bourges.
Les programmes ne sont pas assez détaillés dans le « bidbook », s’agace le jury qui veut montrer qu’il ne s’en laisse pas conter : il lui faut des preuves de ces belles intentions. C’est pourquoi d’ailleurs les programmes comportant des appels à projets, comme à Rouen, posent problème : il ne peut les évaluer. En revanche, le jury aime les chiffres, pointant par exemple le pourcentage beaucoup trop élevé du budget de Clermont-Ferrand consacré aux charges de personnel (23 %). Alors qu’il est beaucoup plus indulgent avec les 21 % de masse salariale de Bourges, au motif que Bourges étant éloigné des grandes villes (deux heures de train de Paris, n’exagérons pas), il lui faut surpayer ses équipes. Il s’inquiète de ce que le financement privé du programme de Bourges (16 % contre 10 % à Clermont-Ferrand) soit trop élevé et surtout peu argumenté, mais n’en tire pas de conséquences particulières.
Troisième enseignement enfin : la dimension européenne est fondamentale. Il n’y a aucune pondération entre les différents critères, mais une chose est sûre, si les cinq critères autres que celui de la dimension européenne sont – sans doute – nécessaires, ils ne sont pas suffisants. C’est en tout cas cette dimension qui semble avoir fait pencher la balance du côté de Bourges. Alors que le jury ne tarit pas d’éloges sur cet aspect de la candidature de Bourges (qui, comme il était souligné dans un article paru dans le JdA no 624 [5 janvier 2024], avait mis le nom « Europe » dans la plupart de ses programmes, il souligne parfois avec rudesse le manque d’initiatives dans ce domaine chez ses trois compétiteurs. Clermont-Ferrand ne se focalise pas assez sur les « aspects communs de l’histoire et du patrimoine européen ». Montpellier est félicitée pour son dialogue avec l’Afrique, mais le jury aurait préféré « plus d’informations sur la façon dont “Montpellier 2028” allait promouvoir la diversité culturelle européenne et améliorer la compréhension commune entre les peuples européens ». Quant à Rouen, le jury reconnaît la qualité de sa vision européenne tout en regrettant le manque d’informations concrètes sur les programmes concernés.
Le « bidbook » est en quelque sorte le contrat entre la Commission européenne et la ville choisie, en contrepartie du droit d’utiliser le label « CEC28 » et de recevoir le 1,5 million d’euros du prix Melina Mercouri. On comprend donc pourquoi le jury est si attaché aux détails. D’autant qu’il n’y a que trois rendez-vous d’ici à 2028 permettant à la Commission de s’assurer de la bonne avancée des choses : automne 2024, mi-2026 et automne 2027. Parmi les quelques recommandations faites à Bourges, on retiendra l’interdiction de nouer un quelconque partenariat avec une entité installée en Russie contrôlée à plus de 50 % par des fonds publics.
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Pourquoi le jury a choisi « Bourges 2028 »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°627 du 16 février 2024, avec le titre suivant : Pourquoi le jury a choisi « Bourges 2028 »