Art moderne

Brancusi, un atelier devenu trop nomade

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 16 juin 2024 - 606 mots

L’atelier est « le cœur battant » de la remarquable rétrospective, au succès mérité, que consacre jusqu’au 1er juillet le Centre Pompidou à Brancusi, selon les mots de sa commissaire Ariane Coulondre.

Préoccupation logique puisque le Musée national d’art moderne est dépositaire d’autres fonds d’atelier, mais celui de l’artiste roumain a acquis un statut particulier dans la constitution de son œuvre. Faut-il pour autant déplacer une troisième fois la reconstitution de cet atelier ?

Brancusi réalisa la majeure partie de son œuvre dans les ateliers qu’il occupa successivement près de Montparnasse, de 1916 à son décès en 1957. Occuper est un mot faible, puisque l’artiste a fait de ces lieux son théâtre vivant. Impasse Ronsin, tout est fait des mains de l’artiste, les sculptures bien sûr mais les tabourets aussi, comme les tables, l’établi, comme le devant de la cheminée… Il organise en plus des dîners, des fêtes, des spectacles de danse et surtout conçoit l’espace comme une sorte d’œuvre totale. Il y met en scène la présentation de ses sculptures, sur des socles particulièrement choisis et est très exigeant sur l’éclairage. Pour conserver l’unité de l’ensemble, lorsqu’une sculpture est vendue, il la remplace par un tirage : « J’étais sidéré par la blancheur et la clarté de la pièce, dira Man Ray, plus impressionné que par n’importe quelle cathédrale. » Influencé par son ami photographe, Brancusi nous a laissé beaucoup de vues instructives de son atelier et d’impressionnants autoportraits in situ. Menacé d’expulsion au début des années cinquante par une extension de l’Hôpital Necker voisin, il obtint grâce en offrant son atelier à l’État. Le legs, acté par son testament du 12 avril 1956, concerne la totalité, non seulement 144 sculptures mais des ébauches, 86 socles, les meubles, les outils, les archives, les tirages photographiques, la bibliothèque… ce que l’on peut découvrir dans l’actuelle rétrospective. À charge pour l’État de conserver l’ensemble et de reconstituer le lieu.

Une première reconstitution est présentée en 1962 au Musée national d’art moderne (Mnam) alors déployé au Palais de Tokyo. En 1977, les collections du Mnam sont transférées sur le plateau Beaubourg. Un petit bâtiment est alors construit sur le côté nord de la piazza pour reloger l’atelier. Vingt ans plus tard, la présidence du Centre Pompidou reconnaît que cette construction« a toujours paru incongrue et disparate ». Elle décide alors de confier à Renzo Piano, co-architecte de la maison mère, le soin de réaliser une nouvelle reconstitution, celle que nous connaissons aujourd’hui à proximité du bâtiment phare. Entreprise périlleuse, dont l’Italien se sort plutôt bien. Il évite le fétichisme de l’objet, la reproduction à l’identique tout en respectant les volumes originaux. Il favorise surtout la qualité de l’exposition des œuvres avec une lumière zénithale. Mais le lieu souffre d’une faible fréquentation. La signalétique devant inciter le visiteur du Centre à se mettre sur ce chemin est déplorable et, quand bien même, le lieu est exigu. Il vient donc d’être décidé de déplacer à nouveau l’atelier, de le placer dans le parcours des collections. Est-ce réellement une priorité ? Que va devenir le petit bâtiment conçu attentivement pour un usage spécifique ? Est-il opportun d’amputer l’espace des collections du Mnam dans le bâtiment principal ? Opportun de financer un nouveau réaménagement de l’atelier ? La rénovation technique du bâtiment principal (désamiantage des façades, optimisation énergétique…) est désormais estimée à 262 M€, le schéma directeur culturel – le réaménagement des espaces intérieurs – à 207 M€. L’État assure le premier budget, le Centre Pompidou doit financer le second. Des choix seront à faire, si les recettes ne sont pas à la hauteur des ambitions ou et si le débat convainc d’un maintien dans le bâtiment Piano.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°635 du 7 juin 2024, avec le titre suivant : Brancusi, un atelier devenu trop nomade

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