Art moderne - Sculpture

XXE SIÈCLE

Brancusi, aux origines

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 19 avril 2024 - 787 mots

PARIS

Pas moins de 120 sculptures composent la rétrospective « sensible » présentée par le Centre Pompidou, au cœur de laquelle prend place la reconstitution de l’atelier de l’artiste.

Paris. À l’entrée, sur un fond de tissu noir et sous un éclairage puissant, émerge un coq en plâtre. Dans la salle suivante, trois autres coqs de grande taille baignent dans une lumière blanche, presque aveuglante. Ainsi, tout au long de l’exposition du Centre Pompidou, la scénographie – œuvre de Pascal Rodriguez – multiplie les chocs visuels, les effets théâtraux, pour obtenir, selon Ariane Coulondre, commissaire et conservatrice, une approche sensible. Le parcours est-il chronologique ou thématique ? Toute la particularité de l’œuvre de Constantin Brancusi (1876-1957) réside dans cette interrogation qui reste sans réponse arrêtée. Il serait plus juste d’évoquer un parcours « cyclique », tant l’artiste reprend sans cesse ses travaux, les modifiant ou utilisant des matériaux différents, tels le marbre, bronze, plâtre, bois. Cyclique également pour cette raison que ces œuvres, toujours en évolution, ne s’éloignent jamais des lois de gestation qui caractérisent l’univers organique. Ce sont des masses biomorphiques, des blocs ovoïdes, des lignes courbes et souples, des volumes dépourvus de tout détail anecdotique. Les formes produites ne cherchent pas l’inscription historique et renvoient à un prototype archaïque, intemporel, inspiré par une nature teintée d’accents mythologiques, oniriques ou symboliques. Les motifs se réfèrent le plus souvent aux sources et aux mystères de la création : embryon, œuf originel, oiseau légendaire…

Ambivalence sexuelle

Malgré la légende qui entoure le personnage, l’artiste n’est pas un ovni qui viendrait d’une région exotique – les Carpates en Roumanie. Après des études effectuées dans une école des beaux-arts de son pays, le sculpteur se frotte à différentes cultures esthétiques : Gauguin et Rodin, dont il a été l’assistant durant quelques mois ; l’art cycladique ; l’art asiatique ou encore l’architecture roumaine que l’on retrouve avec la magnifique Porte de son atelier. Atelier que Brancusi a légué à l’État en 1957 et qui est placé au cœur de l’exposition. Plus précisément, la partie de ce lieu où l’on peut voir les outils que l’artiste a utilisés, quelques travaux et une quantité importante de socles, qu’il considérait comme des sculptures à part entière. Tout autour, dans une vaste salle, les murs sont recouverts d’une très riche, et légèrement étouffante, documentation : lettres, photographies, affiches et même des disques que l’artiste a écoutés dans son atelier – mais aussi des œuvres de ses amis, Fernand Léger ou Marcel Duchamp. Puis, isolée, trône La Princesse X, en bronze poli étincelant (1915-1916). Cette œuvre au parfum de scandale, considérée comme obscène à cause de sa forme phallique, est retirée du Salon des indépendants de 1920. En réalité, il s’agit du portrait stylisé de la princesse Marie Bonaparte, laquelle a traduit les écrits de Freud en français. Plus qu’une simple anecdote, cette ambivalence entre féminin et masculin – le Torse de jeune homme (1917) n’est pas sexué – ne s’arrête pas au genre. Simplifiés, dépouillés, les « objets » de Brancusi oscillent entre plusieurs registres, comme on peut l’observer dans la section des portraits. Ici, si l’artiste conserve les noms de certains de ses modèles, telles Margit Pogany ou la baronne Frachon, aucun trait particulier ne permet de les identifier. Impossible, en effet, de faire la distinction entre l’aspect individuel et la forme impersonnelle de ces visages ou plutôt de ces têtes.

Ambigu également est cet espoir utopique d’aboutir précisément à l’œuvre unique à travers de multiples essais qui forment une série. Cette manière de chercher une forme pure et simplifiée, aux proportions idéales, est parfaitement illustrée par le célèbre et magnifique Oiseau dans l’espace. Brancusi en a réalisé une trentaine de versions dont une douzaine est exposée au musée. Placé judicieusement sur un fond de ciel parisien, chaque Oiseau se transforme en élan ascensionnel. « Ce n’est pas l’oiseau que je sculpte, mais le vol », dit-il.

Est-ce ce traitement poli et lisse à la perfection qui déleste les œuvres de leur poids et les détache de leur substrat ? Il semble que, plus encore que le polissage, ce soit la photographie – de nombreux clichés sont présentés ici – qui permette à Brancusi de modifier le regard sur sa sculpture. Hors de toute visée documentaire ou commerciale, chacune de ses images constitue, selon Pierre Schneider, une œuvre qui « n’est pas extérieure à l’œuvre sculptée mais son ultime état, son accomplissement » (Brancusi et la photographie : un moment donné, éd. Hazan).

La recherche se poursuit à travers d’autres spécimens de cet univers animal qui fascine Brancusi. Ni tout à fait figuratives ni franchement abstraites, les formes des phoques ou des poissons laissent une liberté totale à l’imagination. Comme toute œuvre remarquable, ces sculptures parviennent à métamorphoser la matière inerte en un souffle de vie.

Brancusi,
jusqu’au 1er juillet, Centre Pompidou, Galerie 1, niveau 6, place Georges-Pompidou, 75004 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°631 du 12 avril 2024, avec le titre suivant : Brancusi, aux origines

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