« Est-ce qu’ils vont faire chier Claude Monet, lui ? Est-ce qu’ils vont lui demander si ses cathédrales sont des copies sous prétexte que le sujet est trente fois le même ? » Ce sont les propos que le dessinateur Arnaud Nebbache prête à Constantin Brancusi, alors qu’il se promène, en 1927, dans les rues de Paris avec son ami Fernand Léger.
C’est vrai, ça : est-ce qu’« ils » ont enquiquiné l’auteur des Nymphéas, dont le Musée de l’Orangerie vient alors d’inaugurer le cycle de décorations que Monet a offert à la France pour célébrer l’armistice ? « Ils », ce sont les Américains, dont les douanes ont taxé, quelques mois plus tôt, son Oiseau dans l’espace, sculpture en bronze de 1924 que l’artiste roumain avait envoyé aux États-Unis pour une importante exposition de son travail à la Brummer Gallery. Les douanes réclament une taxe de 210 dollars à l’artiste, refusant ainsi à son « oiseau », qu’elles qualifient de « pièce de métal », le statut d’œuvre d’art, pour celui de simple objet manufacturé. C’est le point de départ du procès que le sculpteur a intenté aux douanes pour faire reconnaître à sa sculpture le statut d’œuvre d’art, procès qu’il gagnera en 1928. Une affaire devenue célèbre, tant pour le débat médiatique qu’elle a provoqué que pour les bases de la reconnaissance de la modernité qu’elle a posées.
Ce procès, Arnaud Nebbache l’a adapté dans une bande dessinée sortie en janvier 2023 chez Dargaud. Le dessinateur y raconte avec force détails l’histoire, en alternant les planches traditionnelles de BD, avec cases et phylactères, et les croquis judiciaires. Quand les premières remettent l’affaire dans son contexte géographique (le Paris des années 1920, l’atelier de Brancusi, etc.) et émotionnel (les doutes de Brancusi, notamment), les seconds apportent les détails techniques du procès : ses protagonistes (le juge Waite, les avocats de Brancusi, maîtres Lane et Speiser, Edward Steichen et Marcel Duchamp, qui furent convoqués à la barre, etc.), ses débats sur la place de l’intervention de l’artiste dans le tirage en bronze, sur l’unicité du sujet (l’oiseau) que l’artiste reprend avec constance depuis 1910 ou sur les frontières entre l’art et l’artisanat. Le sujet, que l’on n’imaginait pas traduit un jour en BD, était difficile à adapter. Pour sa première incursion dans la bande dessinée, Arnaud Nebbache s’en sort pourtant avec talent. Son dessin est abouti et ses couleurs en aplats sont d’une grande élégance. On attend son prochain livre avec impatience.
Illustrateur jeunesse et dessinateur de presse, diplômé en 2005 de l’Institut Saint-Luc de Bruxelles, Arnaud Nebbache est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont La Tournée de Gaspard, sur la tournée quotidienne d’un éboueur, aux éditions de l’Étagère du bas, et Une journée d’apicultrice, sur la disparition des abeilles, aux éditions Kilowatt. Brancusi contre les États-Unis est sa première bande dessinée.
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L’affaire Brancusi adaptée en BD
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°762 du 1 mars 2023, avec le titre suivant : L’affaire Brancusi adaptée en BD