ANGERS
Disparue au XIXe siècle, la galerie posée devant le portail occidental de la cathédrale d’Angers reviendra en 2024 dans une forme contemporaine qui protégera la polychromie retrouvée du tympan.
Angers (Maine-et-Loire). Trois carrés, trois cercles. La définition du projet imaginé par le cabinet Kengo Kuma & Associates pour la galerie contemporaine de la cathédrale Saint-Maurice d’Angers peut se résumer en ces quelques formes géométriques. Lauréats du concours international pour la création d’une galerie visant à protéger la polychromie du portail de la cathédrale, les architectes ont profité du premier confinement pour étudier en détail le contexte de cette extension. Et notamment la galerie gothique précédemment élevée au même endroit puis détruite au début du XIXe siècle, dont les proportions géométriques ont dicté le dessin de la nouvelle galerie. « Dès 1840, on retrouve dans les archives un architecte qui souhaite reconstruire quelque chose à la place de la galerie manquante, explique Clémentine Mathurin, conservatrice à la direction régionale des Affaires culturelles (Drac) des Pays de la Loire. Au XIXe siècle, il y a des projets de reconstruction qui ne sont pas aboutis. » Le concours pour la galerie du XXIe siècle n’a toutefois pas été lancé dans un élan de nostalgie, mais pour répondre à une problématique de conservation.
En 2009, un chantier de nettoyage du portail occidental met au jour la polychromie des décors statuaires. Si des premiers sondages effectués dans les années 1990 laissaient entrevoir des résidus de couleurs, « il y a eu une vraie surprise quand on a découvert l’ampleur des polychromies conservées », se souvient la conservatrice. Masqués par un badigeon apposé probablement au moment de la destruction de la galerie, les décors colorés font l’objet d’une étude approfondie dès leur découverte, puis d’une restauration en 2018-2019. « Lorsqu’on met ce décor au jour, nous sommes obligés de réfléchir immédiatement à un dispositif de protection », relate Clémentine Mathurin.
Protégés temporairement par un écrin en bois depuis une dizaine d’années, les précieux décors font l’objet d’un concours architectural pour un dispositif de conservation pérenne, qui reçoit cinq propositions dont celle de l’agence japonaise, lauréate en 2020. Pour Nicolas Dufétel, adjoint au maire d’Angers chargé du patrimoine, « le projet de Kengo Kuma est à l’image de ce que nous voulons faire dans la ville, dans le respect de la charte de Venise : instaurer un dialogue entre notre patrimoine et la création contemporaine. »
« On s’est mis dans les pieds des bâtisseurs de cathédrale, en travaillant au compas, retrace Élise Fauquembergue, cheffe de projet au sein de l’agence Kengo Kuma. On a même profité du premier confinement pour suivre une formation en géométrie sacrée ! » Pour s’inscrire dans l’ancien, les architectes du bureau parisien de l’agence étudient les plans de l’ancienne galerie détruite au XIXe siècle : devant la nef et ses deux travées, cette galerie présente trois cercles inscrits dans trois carrés. Les plans de l’extension moderne découlent de cette géométrie, dont l’agence japonaise a décliné le tracé originel sous la forme de fines voussures, ouvrant cinq portes – trois frontales et deux latérales – qui multiplient les points de vue sur le portail. La légèreté de ce dessin s’inspire aussi bien du principe d’ébrasement des portails gothiques, qui affine visuellement les épais murs en pierre de taille, que de l’expression sculpturale des drapés sur le tympan : « un fin ciselage que l’on a adoré », confie l’architecte.
Les contraintes fortes du projet représentent également un défi structural : la galerie doit avoir un impact minimal sur la façade occidentale comme sur le sous-sol du parvis. Les plans de l’extension moderne s’inscrivent ainsi à l’intérieur des fondations de l’ancienne galerie pour ne pas altérer les restes archéologiques. Reposant sur huit micropieux, la moitié de la structure est en porte-à-faux au-dessus du tympan, ménageant un vide de 20 cm avec la façade de la cathédrale. Seule une bande de solin assurant l’étanchéité et l’évacuation des eaux de pluie relie la galerie à l’édifice gothique.
L’aspect protecteur de la galerie n’a finalement pas imposé de contraintes aussi lourdes que les restes archéologiques. Dès l’élaboration du concours, la Drac a rejeté l’idée d’une ventilation mécanique pour conserver la polychromie : « Nous avons eu une démarche assez pragmatique, en observant que l’état du portail est stabilisé depuis dix ans. Le coffre de protection en bois temporaire posé en 2009 étant un environnement propice à la conservation, on a fait le choix de reproduire ces conditions avec une ventilation naturelle », détaille Clémentine Mathurin.
Le projet architectural va au-delà de la fonction de dispositif de conservation, comme l’admet la conservatrice : « Le projet existe parce qu’on veut protéger le portail, mais il dépasse cet objectif. Il y a aussi une problématique d’intégration au monument ancien, de prise en compte de cet espace urbain singulier, placé sur un promontoire. » Rédigé avec le diocèse et la Ville d’Angers, le cahier des charges rejetait l’idée d’une muséification du portail, exigeant un espace adapté à la liturgie et à l’espace public. Une problématique à laquelle l’agence Kengo Kuma a répondu en proposant une forme de narthex moderne, ouvert cinq fois sur la ville et aux propriétés acoustiques intéressantes. « Dans la perspective de la montée, on a l’impression que notre galerie a toujours été là, se félicite Élise Fauquembergue. C’est aussi parce que nous avons repris les mêmes méthodes de conception qu’à l’époque gothique. »
La matérialité du nouvel édifice fait actuellement l’objet d’une réflexion. Au départ envisagées en pierres fixées sur une âme en béton, les voussures de la galerie qui devrait être livrée en 2024 seront entièrement composées de granito – fragments de pierres agglomérés par du ciment – fabriqué à partir d’un matériau local puisé dans les gravières de la Loire.
Un autre chantier, non architectural, attend la Drac : celui de la médiation d’un décor constitué d’une stratigraphie complexe de trois époques, XIIe siècle, XVIIe siècle puis restauration par le sculpteur Antoine Laurent Dantan au XIXe siècle. « Il n’y a eu aucune retouche dans notre restauration, souligne Clémentine Mathurin. Nous avons conservé ce qui a été mis au jour. Avec la conscience que ce sera un vrai défi de médiation. »
Maîtresse d’ouvrage de ce projet à 3,6 millions d’euros (entièrement financé par l’État), la Drac travaille désormais conjointement avec la Ville d’Angers. Cette dernière a commandé début 2022 à l’agence Kengo Kuma une étude sur la réhabilitation du parvis, dans le cadre de son plan pluriannuel de réaménagement des places. « C’était une occasion à saisir, relève l’adjoint au patrimoine. Il aurait été dommage de ne pas s’aligner avec l’énergie de l’État. »
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Une galerie dessinée par Kengo Kuma pour la cathédrale d’Angers
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Une galerie dessinée par Kengo Kuma pour la cathédrale d’Angers