PUERTO ESCONDIDO / MEXIQUE
Il y a encore quelques années, Puerto Escondido, au sud de l’État de Oaxaca, au Mexique, attirait principalement les surfeurs ; le petit port est devenu en peu de temps une destination prisée des amateurs d’architecture moderne et d’art contemporain.
Puerto Escondido (Mexique). C’est la quatrième destination la plus recherchée par les utilisateurs américains de la plateforme Airbnb pour l’été qui vient. En l’espace de quelques années, les cent dix kilomètres de plages sauvages qui s’étendent de part et d’autre de Puerto Escondido, sur la côte pacifique mexicaine, ont acquis une solide réputation. Des citadins amateurs d’architecture, de design et d’art contemporain, venus de Mexico, des États-Unis et d’ailleurs, se sont entichés de ce petit village de pêcheurs et de sa région, isolés du reste de l’État de Oaxaca par la jungle et les montagnes de la Sierra Madre del Sur. Rien ne prédestinait pourtant le lieu à devenir la dernière destination à la mode.
« Puerto » comme l’appellent les locaux n’a en effet pas grand-chose en commun avec les grandes stations balnéaires créées par le gouvernement mexicain, Cancún en tête : là, pas de grandes chaînes internationales d’hôtellerie, pas d’imposantes boîtes de nuit, pas de restaurants étoilés, ni même de golf ou de marina. Ce sont d’abord les surfeurs du monde entier qui y sont arrivés dans les années 1980, attirés par le spot de Zicatela, la grande plage qui borde la ville, réputée pour ses impressionnants rouleaux. Puis un artiste hyperactif originaire de Mexico et travaillant à Brooklyn choisit d’y poser ses valises.
En 2012, Bosco Sodi, qui venait enfant en vacances dans la région, achète une grande portion du littoral désertique qui s’étend à l’ouest de Puerto. Il a l’idée d’en faire un paradis pour artistes et architectes, un lieu propice à la méditation et à la création. Au centre de son grand terrain, face à l’océan, il fait bâtir par Tadao Ando, architecte japonais récompensé par le prix Pritzker, le grand bâtiment de la Fondation Casa Wabi : la résidence accueille artistes, compositeurs et designers pour des séjours de quelques semaines, sans autre obligation que de travailler avec la communauté locale et de laisser une œuvre en partant.
Tadao Ando a conçu une architecture complètement ouverte sur la nature, organisée de part et d’autre d’un mur en béton de 312 mètres de long, parallèle à la plage, qui connecte le studio de Bosco Sodi et les espaces d’exposition à l’est aux six pavillons accueillant les artistes à l’ouest. Au centre, un grand espace de vie [voir ill.], qui donne directement sur une longue piscine se prolongeant vers l’océan, prend la forme d’une « palapa », habitation traditionnelle avec son toit en feuilles de palmes séchées, à l’exception près que celle-ci ne possède ni cloisons, ni portes, ni fenêtres : « La plupart des espaces intérieurs ne se distinguent de l’extérieur par rien d’autre que la couverture d’un toit de palapa », commente l’architecte.
Depuis son ouverture, la Casa Wabi a accueilli de nombreux artistes de renom : Lawrence Weiner, Izumi Kato, Ugo Rondino, ou encore Daniel Buren s’y sont succédé. Chacun y a laissé sa marque. La sculptrice new-yorkaise Huma Bhabha a créé pour le jardin de la fondation une figure élancée en terre glaise locale qui se confond avec les cactus environnants ; Loris Gréaud a imaginé un Underground Sculpture Park (2020) en enfouissant dans ce même jardin vingt de ses œuvres, dont l’emplacement n’est indiqué que par des bancs.
Prolongement des bâtiments, le jardin a été conçu par l’influent architecte mexicain Alberto Kalach, un ami de longue date de Bosco Sodi : il y a planté, là et sur toute la bande littorale possédée par l’artiste, près de 20 000 plantes indigènes pour refaire pousser la forêt de cactus et de fougères originelle. « Toute ma philosophie consiste à ne pas entrer en compétition avec le paysage », explique Sodi, qui veut aussi favoriser « l’échange de connaissances » avec la communauté locale. Pour cela, il a confié à quelques architectes de premier plan la conception de « pavillons » éducatifs au cœur du jardin : Álvaro Siza a imaginé un espace pour que les enfants de la région apprennent le maniement de l’argile et la cuisson des céramiques, Gloria Cabral et Solano Benítez ont créé une zone de compostage et Kengo Kuma un poulailler.
« L’architecture peut révolutionner une région et créer un mouvement régénératif », veut croire Bosco Sodi, qui rêve de faire de son terrain un laboratoire au service de la très dynamique scène architecturale mexicaine. Juste à côté de la fondation, l’artiste a fait construire par son ami Kalach un hôtel composé de seize petites « palapas » modernes qui regardent la mer et un autre ensemble de huit villas dissimulées par la végétation, louées aux voyageurs. Rapidement, les maisons d’architectes renommés ont poussé tout autour comme des champignons, suivant à la lettre les quelques préceptes établis par Sodi, Ando et Kalach : des espaces ouverts, sans portes ni fenêtres, au style minimaliste appuyé.
« Nous voulons que les gens se sentent en connexion avec la nature, qu’ils sentent l’air venu de l’océan : à quoi bon des fenêtres si l’on ne peut pas entendre le bruit des vagues ? », développe Sodi. Fidèle à cette formule, l’architecte vénézuélienne Aranza de Ariño a bâti une petite maison en béton toute en hauteur que seules de grandes persiennes séparent de l’extérieur ; le duo mexicain Ambrosi-Etchegaray a pensé sa « Casa Volta » comme un ensemble de trois espaces entièrement ouverts sous leurs voûtes en briques ; pour sa « Casa Malandra », Alberto Calleja a repris les murs en béton, les persiennes, et les toits de palapa tout en ajoutant des toits-terrasses plantés de cactus. Toutes sont disponibles à la location.
La pandémie et le boom immobilier qui a suivi ont contribué à peupler le grand terrain de Bosco Sodi de ces maisons contemporaines qui font le bonheur d’un groupe d’initiés de moins en moins confidentiel. En février dernier, un nouvel hôtel y a ouvert, conçu par Alberto Kalach. « Terrestre » [voir ill.], c’est son nom, n’a ni devanture, ni murs, ni barrières : la réception, les quatorze villas en béton ouvertes sur l’extérieur, chacune avec sa terrasse et sa piscine regardant les montagnes, le restaurant et le hammam sont bâtis autour d’un grand jardin de cactus. Une galerie d’art devrait ouvrir prochainement juste à côté. Bosco Sodi se réjouit de ce succès grandissant mais n’a désormais qu’une peur : qu’à trop se développer, Puerto devienne le nouveau Cancún.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : Un village de pêcheurs mexicain devenu un « hub » artistique et architectural