États-Unis - Art contemporain - Société

L’art au secours d’une petite ville américaine en crise

MONTICELLO / ÉTATS-UNIS

L’artiste mexicain Bosco Sodi inaugure à Monticello, dans l’État de New York, un espace baptisé « Assembly » et consacré à l’art contemporain. Objectif : redynamiser la cité.

Façade de l'Assembly à Monticello, New York. © Assembly
Façade de l'Assembly à Monticello, New York.
© Assembly

Monticello, New York. Après deux heures de route à travers les paysages montagneux des Catskills, on arrive dans un petit bourg à la lumière passée, qui porte visibles comme des stigmates les traces d’un âge d’or depuis longtemps révolu. Les motels, commerces et diners abandonnés, placardés ou défraîchis qui s’alignent le long de la rue principale gardent encore le souvenir d’années 1950 figées dans le temps, époque où cette région désormais en crise était un lieu de villégiature prisée de l’élite new-yorkaise. La ville de Monticello, située à 160 km au nord de New York, en paraît aujourd’hui plus éloignée que jamais.

C’est là que le tonitruant Bosco Sodi, artiste mexicain (né en 1970) hyperactif et touche-à-tout, a décidé d’ouvrir un nouvel espace consacré à l’art contemporain. Baptisé « Assembly », celui-ci affiche, comme son nom l’indique, l’ambition d’être un lieu de retrouvailles pour la communauté locale. Il veut être aussi un facteur de dynamisme pour la région, voire avec un peu de chance de « bilbaoisation ». « Monticello est la deuxième ville la plus pauvre de l’État de New York, commente Bosco Sodi, alors les gens d’ici regardent le projet avec beaucoup d’espoir. »

À Monticello, l’espoir ne manque pas en effet : « Les musées sont des pôles d’attraction incroyablement efficaces pour la revitalisation des centres-villes », veut croire l’historien local John Conway. Sur la rue principale, c’est aujourd’hui l’un des seuls bâtiments qui paraît neuf : ancienne concession automobile de la marque Buick, ce hangar en brique jaune de plus de 2 000 m2 a été converti en galerie d’art par l’architecte mexicain Alberto Kalach, un ami de longue date de Sodi.

Bosco Sodi, qui vit entre Brooklyn et Puerto Escondido, au Mexique, possède une résidence secondaire dans les Catskills, non loin de Monticello. « Chaque fois que je passais devant, je me disais que c’était un beau bâtiment », confie-t-il. La pandémie et l’envie de s’investir davantage dans cette région où il a posé quelques-unes de ses valises l’ont convaincu de franchir le pas, lui qui a déjà fondé deux centres d’art au Mexique et un programme de résidences artistiques au Japon. « Tout le monde ici s’est montré réceptif, toute la ville est derrière nous. Nous avons déjà été contactés par des écoles et des associations », se réjouit l’artiste. Il faut dire qu’il n’y a rien de comparable sur le plan de l’offre culturelle à moins de 60 kilomètres à la ronde.

Le risque, c’est qu’à trop bien fonctionner, le centre d’art attire de nouvelles populations, fasse monter les prix et contraigne les habitants à se loger ailleurs : « Nous voulons être l’antithèse de la gentrification », proclame fièrement Ari Mir-Pontier, la directrice du lieu, une native de Cuba qui vit à Monticello avec sa famille depuis plus de vingt-cinq ans. « Nous voulons avancer à pas de loup, pour parler d’abord à la communauté locale et ne pas tout chambouler d’un seul coup. » Marina Lombardi, qui dirige un programme d’éducation artistique pour les jeunes de la région, ajoute que le centre d’art ne doit pas servir « que les touristes », il doit aider ceux qui n’ont pas l’habitude d’aller au musée « à se sentir chez eux dans un tel endroit ».

Une exposition d’œuvres mal-aimées ou délaissées

Pour l’heure, Ari Mir-Pontier, qui accueille seule tous les visiteurs par petits groupes de huit toutes les heures du jeudi au dimanche, fait en la matière un travail de médiation remarquable. On découvre sous sa conduite avisée les près de cinquante œuvres qui composent « Unstored » [« Déballés »], du nom donné à l’exposition inaugurale. La programmation devrait être renouvelée tous les ans. « C’est une grande cartographie sociale de la vie artistique de Bosco », développe Dakin Hart, conservateur en chef au Musée Noguchi de New York, qui en est le commissaire : « elle regroupe les gens qui comptent pour lui, du Mexique au Japon en passant par New York ».

Pour l’occasion, Bosco Sodi a en effet demandé à ses amis les plus proches de lui confier leurs œuvres inachevées, mal-aimées ou reléguées dans les caisses d’un entrepôt. Au rez-de-chaussée, dans l’immensité du hangar complètement ouvert, l’artiste et le conservateur ont réussi le pari d’agencer avec elles un panorama de la sculpture contemporaine mexicaine : les pierres en équilibre de Jose Dávila (Los Límites de lo Posible IV, 2019) y côtoient les formes alvéolaires en fleur de coton de Paula Cortázar, les céramiques serpentines de Lorena Ancona, une grande installation musicale de Tania Candiani (Pulso (Installation), 2016-2021) ou encore une sculpture en béton aérienne d’Alejandro Almanza Pereda (3 Castles in the Air, 2017).

Au sous-sol, les sphères en argile que l’artiste façonne dans un four à même la plage à Puerto Escondido dialoguent avec les œuvres de deux de ses amis japonais, Izumi Kato et Shiro Tsujimura, des céramiques et des figurines en pierre peintes, dans une présentation convaincante. Pour Bosco Sodi, satisfait du résultat, il ne manque plus désormais qu’un restaurant : « Pour devenir une destination, il faut un lieu pour manger », glisse-t-il dans un sourire. Pas sûr que le diner voisin, l’un des derniers commerces de la ville en activité et au demeurant excellent, apprécie la concurrence : antithèse de la gentrification, vous dites ?

Assembly,
397 Broadway, Monticello, New York, assemblyny.org. Exposition inaugurale : « Unstored: Ugo Rondinone, Izumi Kato, Bosco Sodi, Shiro Tsujimura ; sculpture contemporaine de Mexico ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°591 du 10 juin 2022, avec le titre suivant : L’art au secours d’une petite ville américaine en crise

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