FRANCE
Les Micro-Folies, musées numériques de proximité, poursuivent leur diffusion en France. Séduisantes dans leur principe, elles nécessitent une médiation de bon niveau – donc coûteuse – pour être pleinement utiles.
Mille Micro-Folies sur le territoire hexagonal et ultramarin d’ici 2022 : c’est l’ambition portée le 17 juin 2019 par Franck Riester, alors ministre de la Culture, lors de l’installation du Conseil national des tiers-lieux à la Cité fertile de Pantin. Un an plus tard, l’objectif n’est pas exactement en passe d’être atteint. À ce jour, une centaine de Micro-Folies sont ouvertes au public. Une cinquantaine d’entre elles devraient être inaugurées ce mois-ci, si l’épidémie de Covid-19 leur en laisse le loisir.
Les caractéristiques de ces « équipements culturels de proximité » imaginés en 2016 par Didier Fusillier (président de la Grande Halle de la Villette, EPPGHV) devraient pourtant faciliter leur déploiement. Hybrides et décentralisées, les Micro-Folies ont tous les atouts des tiers-lieux soutenus par le ministère de la Cohésion des territoires, qui copilote d’ailleurs le dispositif avec le ministère de la Culture et la Grande Halle de La Villette. Elles sont à ce titre les fers de lance des politiques culturelles publiques territoriales et prennent en charge la délicate mission de mailler les « zones blanches culturelles » dans un contexte de contraction des ressources allouées aux collectivités. « Toutes les politiques publiques tendent vers un objectif : faire découvrir les chefs-d’œuvre au plus grand nombre et à ceux qui en sont le plus éloignés, explique Didier Fusillier. C’était déjà notre but quand nous avions lancé douze maisons Folies l’année où Lille était capitale européenne de la culture. Nous étions alors sur le modèle des grands équipements qui nécessitaient des investissements importants. L’idée des Micro-Folies est de compléter ce maillage avec de petites unités qui donnent accès au patrimoine et aux chefs-d’œuvres en utilisant des moyens d’aujourd’hui. »
À leur propos, une expression revient souvent : « boîte à outils ». Souples et modulables (deux termes pointés par Riester), elles composent en effet avec la diversité des contextes et des territoires, assemblent différents volets et activités comme autant de briques de Lego. La plupart sont portées par une commune, éventuellement via le musée ou la médiathèque, plus rarement par une association. Les unes se voient en centres d’art, les autres en MJC 2.0. Aussi diverses soient-elles dans leur forme, leur portage et leurs objectifs, toutes présentent un socle commun : un « musée numérique » accessible gratuitement, et dont l’installation est en partie prise en charge par l’État, soit une aide de 15 000 euros. Conçu en partenariat avec douze institutions nationales et développé par l’entreprise informatique Cisco, ce système interactif relie une vingtaine de tablettes à un écran. Un programme de dix minutes environ y égrène en boucle des œuvres d’art issues des collections du Louvre, du Centre Pompidou, d’Orsay, de l’Institut du monde arabe ou du château de Versailles. On peut à la demande faire un arrêt sur image, pour obtenir un supplément d’informations. Des casques de réalité virtuelle complètent le dispositif et diffusent un choix de films courts produits par Arte, sur LaJoconde, sur LesMénines ou LesNoces de Cana. « Les Micro-Folies sont quelque chose de simple, explique Didier Fusillier. Ça ne coûte pas cher, ça s’installe facilement, c’est inépuisable au niveau des contenus, et c’est une passerelle pour aller plus loin. »
À ce volet « diffusion », La Villette préconise d’ajouter un versant « production ». Le plus souvent, c’est un FabLab où sont loisibles ordinateurs, imprimantes 3D, brodeuses numériques et floqueuses accessibles en ateliers ou en autonomie… Enfin, les Micro-Folies se veulent des lieux « d’échanges et de rencontres », selon Franck Riester. À ce titre, elles sont invitées à aménager un espace de convivialité et, pourquoi pas, une ludothèque. Certaines accueillent aussi des spectacles, résidences d’artistes ou conférences, sans parler des « micro-festivals » organisés tout au long de cet été.
Leur visée politique détermine bien sûr la typologie des territoires où elles s’implantent. À Sevran, où la première d’entre elles fut inaugurée par Audrey Azoulay en 2017, il s’agit d’apaiser un quartier de la ville, classé zone de sécurité prioritaire (ZSP). « Ici, la violence sociale est latente et il suffit d’un rien pour que tout s’embrase, décrit Phaudel Kebchi, son directeur. Nous sommes un havre de paix au milieu de la ville, une autre fenêtre sur le monde. » L’équipe revendique à ce titre l’héritage de l’éducation populaire et déploie une programmation ouverte aux cultures locales (la ville est un haut-lieu du rap et du graffiti), à l’intersection du social et du culturel. Sur le versant social, la distribution de colis alimentaires et la fabrication de visières pendant le confinement. Sur le versant culturel, l’inauguration le 10 juillet dernier de Chapitre Beaux-arts, un film immersif né des visites des Sevranais au Louvre ou à Orsay. Entre les deux, une myriade de concerts, d’ateliers et d’activités en lien avec les acteurs locaux.
À Auxerre, l’ouverture d’une Micro-Folie en 2019 répond à des enjeux bien différents. Son installation soutient le déploiement du programme « Action cœur de ville » qui vise à revitaliser le centre-ville. D’après les chiffres de Pauline Mas, sa directrice, et de Delphine Lannaud, directrice des musées de la ville, celui-ci a d’ailleurs permis de financer l’installation du lieu à hauteur de 41 %. Dans un ancien salon de coiffure situé sur la place de l’hôtel de ville, la Micro-Folie présente, au gré d’expositions thématiques, diverses œuvres de l’artothèque et des musées municipaux. Tout comme à Nevers, ces derniers en assurent la programmation et la gestion.
« La nouvelle phase de développement qui s’ouvre va permettre de renforcer la présence des Micro-Folies dans les territoires ruraux », annonçait aussi Franck Riester au château de Versailles le 16 septembre 2019. Depuis, une Micro-Folie vient d’ouvrir à La Souterraine, pôle urbain de 5 000 habitants en plein cœur de la Creuse. « Le volet culturel est déjà important dans la ville, notamment avec la présence de la cité scolaire Raymond-Loewy ou encore le centre culturel Yves-Furet, explique Marine Toupinier, chargée de mission en charge de la revitalisation du centre-ville. La Micro-Folie est un outil supplémentaire au service du rayonnement de La Souterraine, notamment touristique. »
Une Micro-Folie rurale est aussi en projet à Chassagne-Montrachet, en Côte-d’Or. Mobile, elle promet de sillonner tout le département : « Les petites communes n’ont pas les moyens de prendre en charge de grandes choses et l’intercommunalité n’a pas la compétence culture, explique Emma Picard, présidente de l’association CCulte !, qui porte le projet. Beaune ne rayonne pas au-delà. Pour nous, il s’agit de faire avec les pouvoirs publics, plutôt qu’à la place de. » Les Micro-Folies se développent aussi à l’étranger. À Abou Dhabi, l’une d’entre elles a pris place en juillet 2019 dans le bâtiment de l’Alliance française. « Je me suis dit qu’on pouvait utiliser le dispositif comme un outil de développement pour l’apprentissage de la langue et de la culture française », explique Mohamed Beldjoudi, son directeur.
Sous la houlette de l’EPPGHV, les Micro-Folies déployées sur le territoire national et ultramarin sont organisées en réseau, pour mieux partager initiatives et bonnes pratiques. À une journée de formation consacrée à la prise en main des outils numériques, s’ajoutent une ou deux réunions annuelles d’échanges et de mise en commun. « La Villette travaille à créer des circulations et échanges de bonnes pratiques, note Olivier Sergent, directeur de la Micro-Folie Moulins à Lille. Elle nous fait aussi des propositions d’artistes qu’on peut accueillir en résidence, ou pour développer un projet. » Une plateforme devrait aussi voir le jour prochainement pour faciliter le partage des contenus et des expériences concluantes. « La généralisation des Micro-Folies sur l’ensemble du territoire tiendra beaucoup à la capacité du réseau à créer du lien », note Delphine Lannaud.
L’échange de contenus, et tout particulièrement de contenus pédagogiques, est en effet décisif pour les Micro-Folies. « L’expérience numérique elle-même est très décevante, note un connaisseur du dispositif. C’est un grand mur technologique où manque même l’effet « waouh ». J’ai vu des gamins appuyer trois fois sur la tablette et arrêter. » De fait, le système technologique en lui-même n’offre pas vraiment de plus-value à des contenus disponibles par ailleurs sur Internet. Son intérêt réside bien plutôt dans les échanges et activités sur lesquels il ouvre. « La Micro-Folie est un très bel outil, mais c’est un outil qui a ses limites, résume Pauline Mas. Il faut savoir pourquoi et comment s’en servir. L’installer ne suffit pas : sans médiation, elle risque de rester un outil un peu creux. »
Ce besoin de médiation est d’autant plus grand que sa pluridisciplinarité fait du dispositif un allié naturel de l’éducation artistique et culturelle. S’il a vocation à accueillir tous types de public, il multiplie l’offre à destination des scolaires. Or, avec six équivalents temps plein (ETP) seulement, l’établissement public de La Villette n’est pas en mesure de concevoir l’intégralité des contenus pédagogiques. A fortiori dans un contexte où ces derniers s’étoffent toujours plus. « En lien avec les Musées nationaux (RMN), nous voulons favoriser l’émergence de collections régionales, précise Didier Fusillier. Nous voulons dire au public qu’il n’y a pas que le Louvre, mais aussi un château à 20 km de chez lui. » Les fonds des musées des Hauts-de-France, un programme consacré au Mexique, un autre aux châteaux, sont d’ores et déjà venus compléter le catalogue des douze institutions partenaires. Cette régionalisation des collections est de nature à conforter la stratégie de nombreuses Micro-Folies. « L’intérêt est de donner au lieu une réalité sur le territoire, explique Yann Boyer, directeur de la Micro-Folie de La Souterraine. Nous avons une proposition venant de Paris et de la Villette à travers le musée numérique, mais on a avant tout un projet de territoire. »
Ce besoin de médiation pourrait s’avérer un frein au déploiement de mille Micro-Folies d’ici 2022. De fait, il vient heurter de plein fouet les contraintes auxquelles la baisse constante des dotations de l’État confronte nombre de communes. En 2020, la loi de finances 2020 allouait certes 3 millions d’euros de crédits au dispositif. S’y ajoutent au besoin les dotations du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) en faveur des zones prioritaires. L’agilité et la modularité des Micro-Folies sont aussi censées limiter les coûts : « L’installation coûte 40 000 euros pour le matériel, avance Didier Fusillier. Pour limiter les coûts de fonctionnement, on préconise de la réaliser dans des lieux existants, comme les médiathèques, où il y a déjà du personnel. » Les différents interlocuteurs interrogés font pourtant état de coûts d’investissement plus élevés, de l’ordre de 100 000 et 200 000 euros, que couvrent marginalement les 15 000 euros alloués par l’État. S’y ajoutent surtout des frais de fonctionnement, qui sont intégralement à la charge des communes.
C’est justement sur ce point que Sylvie Robert, membre de la commission culture au Sénat, déposait un avis très réservé à propos du dispositif en novembre 2019. « Ma réserve tient au fait que les coûts de fonctionnement et d’entretien ne soient pas à la charge de la seule collectivité, précise-t-elle. Les Micro-Folies doivent s’implanter dans des territoires sous-dotés, où les communes sont en difficulté financière. Il serait souhaitable dans ces conditions qu’on puisse lier l’installation d’une Micro-Folie à une aide de l’État pendant cinq ans, sur les coûts de fonctionnement et d’entretien. Sans cette aide, le dispositif s’éloigne de son ambition première, et sa promesse risque de devenir déception. » Selon la sénatrice, cette aide est ainsi de nature à réaliser l’ambition des Micro-Folies : celle d’être une « passerelle » vers les institutions. « Il ne suffit pas de promettre aux visiteurs qu’ils iront au Louvre, résume-t-elle. Il faut les y emmener ! »
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Les Micro-Folies, des boîtes à outils insuffisantes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°550 du 4 septembre 2020, avec le titre suivant : Les Micro-Folies, des boîtes à outils insuffisantes