FRANCE
Tout juste rénové, le Musée de la porcelaine de Limoges est entré dans le giron de la Cité de la céramique. Le site de Sèvres nourrit de grandes ambitions malgré de petits moyens.
LIMOGES/SEVRES - Premier musée inauguré par la nouvelle ministre de la Culture, le Musée national de la porcelaine Adrien Dubouché, à Limoges, a rouvert ses portes après deux années de travaux – pour 14,2 millions d’euros financés par l’État – et un an de fermeture. Doté d’une élégante extension imaginée par l’architecte Boris Podrecca, le musée a doublé ses surfaces et entièrement revu son parcours (lire l’encadré). En coulisse, l’ambiance était pourtant tendue à Limoges ce 28 juin, lors du traditionnel coupé de ruban. Et Chantal Meslin-Perrier assistait, en silence, à sa dernière apparition publique en tant que directrice de ce musée au service à compétence nationale dont elle allait claquer la porte dans les jours qui suivaient. La cause de son courroux : la fusion du Musée Adrien Dubouché avec la Cité de la céramique, établissement public lui-même né en janvier 2010 du mariage, douloureux, du musée et de la manufacture de Sèvres. Dans les tuyaux depuis plusieurs années, concoctée dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques, la fusion Sèvres-Limoges s’est faite dans une certaine précipitation, calendrier électoral oblige. Par décret du 6 avril 2012, la veille de ce qui devait donc concrétiser un chantier initié dans les années 1990, Chantal Meslin-Perrier voyait le musée qu’elle dirigeait depuis plus de vingt ans entrer dans le giron de la Cité de la céramique, sous la direction générale de David Caméo.
« C’est véritablement une OPA. Cette Cité de la céramique est un artifice en soi », nous a-t-elle déclaré. « Heureusement, les collections, elles, demeurent, quoi qu’il arrive ». Sur ce point, au moins, elle rejoint David Caméo pour qui il s’agit de simples querelles de personnes : « Nous ne sommes pas éternels. Notre mission est de nous battre pour faire connaître nos domaines d’activité avec une vraie mission de service public. La fusion avec la cité crée une synergie bénéfique pour la céramique contemporaine. Nous sommes dans un domaine qui souffre et on se doit de montrer les choses les plus innovantes. » Éric Moinet, le directeur du département du patrimoine et des collections de la Cité de la céramique ajoute que « l’ambition de la cité est d’être un pôle international pour la céramique et les arts du feu. À deux, on est beaucoup plus fort ». Céline Paul, conservatrice au Musée Adrien Dubouché depuis 2005, devrait, elle, reprendre les rennes de l’établissement limougeaud qu’elle connaît bien.
Une dynamique commune
Concrètement, outre la mutualisation de certains services, qu’est ce que la fusion va apporter ? « Ce rapprochement s’appuie sur des réflexions d’ordre culturel et scientifique. Les conservateurs pourront travailler sur plusieurs collections [celle du Musée de Sèvres comporte pas moins de 55 000 pièces], ce qui est très stimulant », souligne David Caméo. « Le but est de développer une dynamique commune pour les acquisitions, expositions ou la politique des publics. L’économie de la Cité de la céramique, repose sur la production de Sèvres [2 millions d’euros de recettes par an pour un coût de fonctionnement de 5,5 millions d’euros]. Cela va permettre de développer des projets qui n’auraient pu se faire en restant isolés. » Si les deux établissements connaissent des problèmes similaires (des équipes trop réduites et la nécessité d’augmenter leur chiffre de fréquentation, avec 40 000 visiteurs par an à Sèvres et 30 000 à Limoges), les enjeux ne sont pourtant pas les mêmes à Sèvres et à Limoges. Proche du Craft (le centre de recherche sur les arts du feu créé en 1993), de l’école nationale supérieure d’art de Limoges ou du Frac Limousin, le Musée Adrien Dubouché est déjà bien ancré sur son territoire et, après cette rénovation spectaculaire et un récolement mené de 2006 à 2011, il est paré pour conquérir de nouveaux publics et multiplier les projets. À Sèvres, malgré les efforts accomplis, on ne peut pas en dire autant, et il est désormais urgent de revoir des espaces vétustes – la dernière rénovation d’ensemble remonte aux années 1970. Même si Sèvres mérite une grosse campagne de rénovation, en ces temps de restrictions budgétaires, David Caméo parle de son projet comme de l’« antithèse de Limoges » avec pour philosophie de faire le maximum avec un minimum de moyens. L’institution doit donc se contenter de rénover par petits bouts, comme cela s’est fait au Musée national des antiquités à Saint-Germain-en-Laye ou au Musée national du Moyen Âge – Thermes de Cluny, avec le risque d’obtenir un ensemble disparate. Après des travaux au rez-de-chaussée, ayant abouti à l’ouverture d’un espace pour la création contemporaine et le rhabillage des salles de l’Antiquité à la Renaissance, les grandes salles du premier étage consacrées à la porcelaine devraient faire l’objet de soins intensifs d’ici à la fin 2014… « Si tout va bien », précise, prudent, David Caméo, c’est-à-dire s’il parvient à boucler le montage financier. Le premier étage est dans un « état de délabrement total » reconnaît David Caméo et il faut au plus vite mettre aux normes les systèmes d’électricité et d’accessibilité, revoir les sols et ouvertures. Autre chantier prévu : celui des réserves qui devraient « prochainement » être délocalisées dans d’autres bâtiments, sur le site de la cité, afin de redéployer les collections et créer deux entrées par le rez-de-jardin. Mais même en libérant les réserves, ce qui permettrait d’atteindre 2 400 m2 de surface utile, le musée va manquer d’espace. En outre, son organisation actuelle est peu satisfaisante : les salles d’exposition se situent ainsi au deuxième étage et une librairie, un auditorium, voire un restaurant, lui font encore défaut. Un projet de plus grande envergure est à l’étude et pourrait voir le jour, à l’horizon 2019 ou 2020. David Caméo évoque une extension contemporaine réservée aux expositions, vaste halle de verre et de bois ouverte sur le parc de Saint-Cloud qui donnerait à la Cité de la céramique les moyens de ses ambitions… Si tout va bien.
Rénové, agrandi, repensé, le nouveau Musée Adrien Dubouché a ouvert au public au début de l’été dévoilant ses nouveaux espaces, passant ainsi de 3 000 à 6 000 m2. L’architecte Boris Podrecca a imaginé une extension dans le prolongement du bâtiment 1900 conçu par Pierre-Henri Mayeux, avec une mezzanine dans l’ancienne école des arts décoratifs dont a hérité le musée. Construit comme un va-et-vient entre les espaces contemporains et anciens du musée, le parcours retrace, sur un mode chronologique, l’histoire de la céramique et de ses différentes composantes (poterie, faïence, grès et porcelaine), sans oublier de mettre en exergue la création contemporaine pour exposer les collections du Frac Limousin et du Craft. Directrice du musée depuis 1988 jusqu’à son récent départ (lire l’article ci-contre), Chantal Meslin-Perrier explique que le projet a été guidé par « la volonté de rendre la collection le plus visible possible ». « Nous avons choisi de présenter beaucoup de pièces pour que la population se réapproprie son patrimoine et que les gens viennent voir ce Limoges qu’on connaît mal ». Désormais, 8 000 œuvres sont exposées sur les 15 000 numéros inscrits à l’inventaire. Parfois trop imposante, la muséographie, signée Zette Cazalas, ne met pas toujours les œuvres en valeur. Ainsi, les vitrines-conques censées valoriser la collection de porcelaine de Limoges, empêchent plutôt leur visibilité, et le visiteur peut être surpris d’y découvrir son propre reflet plutôt que les fleurons de la collection. Excepté cette maladresse, les nouveaux espaces sont des plus séduisants et devraient permettre, comme le musée l’envisage, de doubler le nombre de ses visiteurs pour recevoir quelque 60 000 curieux ou passionnés chaque année.
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Sèvres et Limoges sur deux tempos
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Abonnez-vous dès 1 €Galerie des techniques depuis la mezzanine - Musée Adrien Dubouché - Limoges - © Photo : RMN (Limoges, Cité de la céramique)/Martine Beck-Coppola
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Sèvres et Limoges sur deux tempos