Deux expositions célèbrent la céramique : l’une, à Troyes, montre comment les peintres modernes se sont emparés de ce support ; l’autre, au château de Versailles, révèle les œuvres sur porcelaine de Dodin (1734-1803).
1 - Charles Nicolas Dodin, la virtuosité technique
Translucide et délicate, la porcelaine est une céramique particulièrement recherchée et considérée, au XVIIIe siècle, comme un véritable or blanc. Pour intervenir sur le galbe d’un vase ou l’aile d’une assiette, le peintre doit faire preuve d’une précision impeccable et d’une habileté implacable. Les dimensions souvent modestes de l’objet nécessitent quant à elles une technique incomparable, la seule à garantir une lisibilité sans faille.
À cet égard, le travail de Charles Nicolas Dodin, pour la manufacture royale de Sèvres, est exemplaire tant le peintre parvient à épouser les qualités intrinsèques de la porcelaine tout en figurant des scènes que l’on croirait déployées sur des toiles. Du reste, Boucher et Fragonard furent des sources d’inspiration privilégiées pour cet artiste dont rois et reines s’arrachèrent tôt des chefs-d’œuvre virtuoses, présidés par un sens inégalé du détail comme de la couleur. Il fallait en être digne, mais la fragilité de la porcelaine allait permettre de peaufiner la fraîcheur des chairs, la délicatesse des tons et la souplesse des transitions. Une peinture miniature, un rêve d’argile.
2 - Charles Nicolas Dodin, la matière de l’ailleurs
Il fallut du temps avant que l’Europe puisse concurrencer la porcelaine chinoise. La découverte allemande de son procédé de fabrication, en 1708, ouvrit instamment de nouveaux horizons, de nouvelles possibilités, aussi bien pour les céramistes que pour les peintres. La perfection devenait accessible, les chinoiseries étaient des merveilles.
Cet essor européen de la porcelaine, qui constitue l’une des cimes de l’histoire de la céramique, coïncide avec une véritable mode chinoise. Les artistes, tels Watteau, Boucher ou Pillement, s’emparent de ce tropique rêvé pour livrer des compositions fantaisistes, si ce n’est fantasques. Dodin, quant à lui, exécute de nombreuses compositions à décor chinois, élaborées selon des perspectives orientales jusqu’alors inconnues. Audacieuses et luxueuses, ces porcelaines allaient séduire jusqu’à Louis XV et madame de Maintenon qui, entre 1760 et 1763, comptèrent parmi les meilleurs clients de la manufacture de Sèvres. Dans l’imaginaire artistique, la céramique était désormais liée à un lointain rêvé, à un ailleurs approché. Gauguin allait s’en souvenir.
3 - Paul Gauguin, la forme renouvelée
La créativité du peintre ne se cantonne pas toujours à sa seule intervention picturale mais à son éventuelle investigation du matériau. Tellurique, la céramique invite en effet plusieurs artistes à réfléchir à sa malléabilité, à son pouvoir suggestif, loin des coercitions proprement sculpturales. Ici, l’artiste n’entend pas peindre, il veut pétrir la matière comme le potier travaille la terre. Il veut rejoindre l’artisan.
Gauguin fut l’un des grands artisans de la redécouverte de la céramique et de son incorporation par les tendances modernes. Sa collaboration avec le céramiste Ernest Chaplet enfanta de nombreux chefs-d’œuvre, pleins d’une sève primitive. Une sève ardente, qui irrigua l’imaginaire de nombreux artistes à venir. Une sève inédite, dont de nombreux commentateurs – jusqu’à son auteur lui-même – ne surent vraiment dire si elle appartenait à la céramique ou à la sculpture, preuve que les techniques dialoguaient désormais sans rémission : « J’ai été le premier à lancer la céramique sculpture et je crois qu’on l’a oublié, il pourrait se faire qu’un jour on soit moins ingrat à mon égard. »
4 - Édouard Vuillard, l’utilitaire esthétisé
Plébiscitée depuis toujours par les arts décoratifs, la céramique est toute désignée pour confectionner des objets destinés à peupler le quotidien, fût-il exceptionnel. Vases, coupes, flacons, plats ou surtouts de table sont ainsi les formes privilégiées par cet art du feu. Le talent du peintre, devenu collaborateur, consiste précisément à réinvestir ses formes prosaïques, à leur conférer une seconde joliesse, une noblesse insoupçonnée. Manière, s’il en est, de décloisonner les genres et de rendre perméables entre elles des techniques longtemps étanches.
Ainsi, à la fin du XIXe siècle, Édouard Vuillard joue-t-il avec la forme canonique du compotier. D’un côté, le liseré, cerclant le pied, et la répartition des couleurs, respectueuse des différentes parties, viennent souligner les qualités structurelles. De l’autre, le col, ourlé de bleu, fait presque office de cadre circulaire au motif central et permet de singer les dispositifs picturaux sur toile ou bois : le compotier n’est plus un simple récipient domestique, il devient par l’intervention du nabi un superbe tondo céramique.
5 - Joan Miró, le support émancipé
Comment le pigment peut-il occuper la céramique ? Comme devant un plâtre, un bois ou un marbre, le peintre a plusieurs possibilités : investir la céramique en respectant ses singularités formelles ou, au contraire, être indifférent à ses questions structurelles. Autrement dit, la céramique doit-elle être considérée pour sa plasticité ou n’est-elle qu’un prétexte matiériste ?
La question du support, cardinale au XXe siècle, trouve ici des traductions pour le moins symptomatiques des débats contemporains. Et force est de reconnaître que les artistes dont les toiles ont renoncé aux exigences mimétiques poursuivent les mêmes émancipations céramiques.
Avec son Plat au personnage coloré, Joan Miró sacrifie les expédients traditionnels. Rien ne permet de renvoyer à la fonction première de l’objet tandis que l’image déployée paraît ignorer les spécificités intrinsèques du support. Exubérante, la couleur contamine désormais la céramique tandis que la forme et le fond s’entremêlent hardiment pour ne faire plus qu’un, le second devenant la trame argileuse de la première, débridée.
« Splendeur de la peinture sur porcelaine. Charles Nicolas Dodin et la manufacture de Vincennes-Sèvres au XVIIIe siècle », jusqu’au 9 septembre, château de Versailles. Du mardi au dimanche de 9 h à 18 h 30. Tarifs : 15 et 13 e. www.chateauversailles.fr
« La Céramique des peintres, de
Matisse à Picasso », jusqu’au 2 décembre. Musée d’art moderne de Troyes. Ouvert du mardi au vendredi de 10 h 30 à 13 h et de 14 h à 19 h, et le samedi et dimanche de 11 h à 19 h jusqu’au 30 septembre ;
du mardi au vendredi de 10 h à 12 h et de 14 à 17 h et le samedi et dimanche de 11 h à 18 h à partir du 1er octobre. Tarif : 8 e.
www.musees-troyes.com
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5 clefs pour comprendre la céramique des peintres
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°649 du 1 septembre 2012, avec le titre suivant : 5 clefs pour comprendre la céramique des peintres