Après plus de soixante-dix ans de séparation, le Musée national de céramique et la Manufacture nationale de porcelaine, imbriqués sur un même site coincé derrière l’échangeur du pont de Sèvres, viennent à nouveau d’être réunis. Attendu, le mariage, officiel depuis janvier avec la création d’un nouvel établissement public, a tardé à se concrétiser.
SÈVRES - Il a finalement profité au principal prosélyte du projet, David Caméo, directeur de la Manufacture depuis 2003, fin politique et auteur en février 2006 d’un rapport préconisant cette réunification ; il devient directeur général de la nouvelle « Sèvres-Cité de la céramique ». Une appellation générique, destinée à fédérer sous une seule bannière deux entités qui devront désormais apprendre à vivre ensemble. Ce qui, bien que logique sur le papier, n’est pas une mince affaire.
Antoine d’Albis, président de la Société des amis de Sèvres et ancien directeur technique de la Manufacture, avoue avoir toujours connu des crispations entre conservateurs du musée et responsables de la manufacture. « Mais ont-ils les mêmes intérêts et les mêmes objectifs ? », interroge-t-il. Les métiers sont en effet différents : la manufacture produit pour vendre alors que le musée conserve des collections.
Historiquement, les deux établissements étaient pourtant liés puisque c’est en 1824 qu’Alexandre Brongniart, alors directeur de la manufacture, ouvre un musée sur le site pour nourrir l’inspiration des ouvriers de la fabrique installée à Sèvres depuis le XVIIIe siècle. Mais en 1934, un directeur se plaignant des charges du musée, lequel connaît une faible fréquentation, le fait placer sous tutelle des musées nationaux.
Depuis, la crainte des responsables du musée a toujours été la même : devoir revenir dans le giron de la manufacture, plus puissante en nombre puisque son corps des techniciens d’art ne compte pas moins de 120 personnes sur un total de 200. Le personnel du musée garde ainsi en mémoire les tensions entre Antoinette Faÿ-Hallé, leur directrice, et David Caméo. Le combat s’est soldé par le départ en retraite de la directrice, après trente-neuf années de maison. Si David Caméo préfère ne pas commenter les « querelles de personnes », il déplore que le musée se soit si longtemps replié sur lui-même. « Malgré la proximité des deux établissements, la synergie n’a pas joué. Il n’y a jamais eu de vrai projet de site », note le directeur général.
Le musée n’a par ailleurs guère brillé par sa politique d’exposition. « Comment expliquer qu’à l’occasion de l’Année France-Russie le musée n’ait monté aucune présentation autour du service de Catherine II, qui a pourtant été l’une des plus prestigieuses commandes passées à Sèvres ? »
Collections mutualisées
David Caméo s’emploie aujour-d’hui à redonner une visibilité au musée, dont la fréquentation annuelle est désastreuse : 20 000 visiteurs pour le musée et 15 000 pour la manufacture. Il s’est déjà rapproché de France-Muséums pour se raccrocher au projet du Louvre-Abou Dhabi. La réunification, établie sur un « travail de complicité objective », est passée par une réorganisation en départements. Les collections ont ainsi été mutualisées – la manufacture conservant quelque 100 000 moules et plus de 25 000 dessins, mais aussi des pièces de collection – sous la houlette d’un nouveau directeur, Éric Moinet, venu récemment du Musée lorrain de Nancy.
Au-delà des bénéfices en termes de synergie, les vertus économiques du nouveau statut semblent moins évidentes. L’établissement public ne génère en effet que 2 millions d’euros de ressources propres sur quelque 10 millions d’euros de coût. « La manufacture n’a jamais été rentable, précise Antoine d’Albis.
Mais il s’agit d’un établissement unique au monde, le seul où l’on continue à fabriquer des pâtes avec des formules du XVIIIe siècle ou à fabriquer les couleurs et fondre l’or. Si son image était très ternie dans les années 1960, au point que Malraux ait envisagé de la fermer, un lent redressement a permis de retrouver la qualité des productions du XVIIIe siècle, tout en poursuivant dans le domaine de la création. Il serait impensable de fermer aujourd’hui un tel établissement. » À cela s’ajoutent des obligations protocolaires, un tiers de la production étant affecté aux grands corps de l’État.
D’où, aussi, l’impossibilité de créer un établissement public de coopération culturelle, qui aurait permis d’associer le très riche département des Hauts-de-Seine au financement de la structure. Celui-ci est toutefois désormais représenté au sein du conseil d’administration. Le projet de « Vallée de la culture » lancé par le conseil général pourrait en effet avoir un impact positif sur l’attractivité du site, qui reste à repenser. Mais pour renforcer la fréquentation, il faudra aussi revoir l’offre du musée. Prudent, David Caméo préfère réorganiser par touches successives avant de proposer un grand projet qui risquerait d’être retoqué, faute de budget.
Une galerie contemporaine sera ainsi créée et le parcours progressivement revu, avec des espaces dédiés aux techniques, un lien plus fort devant par ailleurs être établi avec les visites des ateliers de la manufacture. L’objectif, à terme, serait de réaménager en espace d’accueil le rez-de-jardin, aujourd’hui occupé par des réserves.
Habile communicant, David Caméo semble parvenir à convaincre le personnel de la nécessité de faire évoluer la maison. « Il n’a pas baissé les bras au bout de deux ans et a produit un énorme effort de compréhension », souligne Antoine d’Albis, qui a vu nombre de ses prédécesseurs se casser les dents. Mais la grande affaire pourrait être l’entrée dans le giron de la Cité de la céramique d’un autre musée national, le Musée Adrien-Dubouché, consacré lui aussi à la céramique mais situé à Limoges. La révision générale des politiques publiques a en effet prévu de reconfigurer le panorama des musées nationaux en préconisant des regroupements.
Or la création d’un nouvel opérateur pour le Grand Palais (lire p. 3) devrait accélérer ce mouvement, destiné à décharger la Réunion des musées nationaux de musées peu rentables. David Caméo préfère ne pas commenter cette information. Mais l’affaire serait en cours d’arbitrage à Matignon.
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Mariage forcé à Sèvres
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°324 du 30 avril 2010, avec le titre suivant : Mariage forcé à Sèvres