Depuis longtemps, de prestigieuses céramiques sont entrées dans les collections des musées français. Des institutions s’apprêtent pourtant à renouveler leurs présentations, alors que naît une polémique à Sèvres.
Où peut-on voir de la céramique dans les musées français ? À peu près partout. Les musées des beaux-arts comme les musées techniques (le Musée des arts et métiers, à Paris ; le Musée des arts et de l’industrie, à Saint-Étienne) exposent dans leur majorité des objets de grès, de faïence ou de porcelaine. Dresser un inventaire exhaustif des lieux aurait peu de sens, il s’agira ici de repérer les musées spécialisés et de mettre en évidence certaines collections publiques majeures.
À Rouen, le musée est en pleine mutation. Christine Germain-Donnat, conservatrice au Musée des beaux-arts et directrice du Musée de la céramique, souhaite offrir aux visiteurs « une présentation renouvelée des collections » (lire p. 17). Une scénographie plus spectaculaire a été mise en œuvre, correspondant pleinement à la faïence rouennaise du XVIIe et du XVIIIe siècle, une faïence d’apparat réservée à l’élite. Les grands plats ont donc retrouvé les murs du musée après une campagne de restauration et sont présentés « à la manière d’un cabinet de faïence ».
Projets d’évolution
Rouen était au XVIIIe siècle l’un des centres les plus actifs en matière de céramique. La collection est exemplaire et Christine Germain-Donnat souhaite en révéler tous les aspects, dans une volonté d’ouverture, au-delà de la céramique de Rouen. Ainsi, la présentation des reliefs restaurés en céramique des établissements parisiens Loebnitz montre l’application de la céramique à l’architecture. Ce printemps, le musée ouvre deux nouvelles salles consacrées à la présentation d’une collection de Sèvres jamais montrée, une centaine de pièces de grès et de porcelaine des XIXe et XXe siècles, dont des objets Art nouveau et un vase de Ruhlmann des années 1930 décoré par Mathurin Méheut. La céramique contemporaine n’est pas en reste, par le biais d’expositions temporaires et d’achats d’œuvres d’artistes (lire p. 17).
Le Musée de la porcelaine Adrien-Dubouché, à Limoges, a lui aussi des projets d’évolution. À commencer par sa rénovation et par son agrandissement. La collection d’arts décoratifs est prestigieuse ; elle s’est récemment enrichie de trois cent grès contemporains, de pièces en porcelaine de Limoges créées par Arman, César, Segal et de la collection réunie par Michel Bloit de trois cent dix-sept porcelaines de Paris, réalisées entre 1772 et 1820. Les collections offrent un panorama très complet des quatre grandes « familles » de céramique : la poterie, le grès,
la faïence et la porcelaine. Le XIXe siècle représente l’ensemble le plus important (sous l’impulsion de son directeur d’alors, l’industriel limousin Adrien Dubouché, qui est nommé en 1865), et le musée peut s’enorgueillir de conserver la plus importante collection publique au monde de porcelaine de Limoges, qui en retrace l’histoire de 1771 à nos jours.
Au regard de ces deux institutions, le Musée national de la céramique de Sèvres ferait presque pâle
figure. Si la collection est exceptionnelle, les moyens, eux, ne suivent pas. « Nous avons cinquante mille objets et 3 000 m2 au sol », explique Antoinette Hallé, conservatrice générale du patrimoine et directrice du musée. Les espaces sont quelque peu vieillots et les trésors exposés, qui couvrent l’histoire de la céramique et de ses techniques depuis 3000 av. J.-C. jusqu’à nos jours, n’ont pas l’écrin qu’ils méritent. « Ma politique à moi est déjà d’exister », ajoute Antoinette Hallé en évoquant volontiers le conflit qui l’oppose à David Caméo, le directeur de la Manufacture nationale de Sèvres (lire l’encadré). La directrice ne manque pourtant ni de projets ni d’énergie. Elle multiplie les expositions temporaires et envisage des aménagements visant à améliorer le confort d’accueil et de visite du public.
Longue tradition française
D’autres collections publiques méritent largement le détour. Le Musée national de la Renaissance, au château d’Écouen (Val-d’Oise), possède un fonds exceptionnel de céramique Iznik, le plus important conservé en France, riche de quatre cent soixante-quinze plats, pichets, hanaps… des XVIe et XVIIe siècles. Une collection constituée par le Musée national du Moyen Âge de Cluny, à Paris, qui avait acquis les objets auprès de l’archéologue Auguste Salzmann (1824-1872). Au Musée Condé, à Chantilly (Oise), les collections de porcelaine, essentiellement de Sèvres et de Paris, ont fait récemment l’objet d’un catalogue raisonné (éd. Somogy, 2005). Le duc d’Aumale était un grand amateur de porcelaine de Sèvres du XVIIIe siècle. À Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), c’est la céramique grecque qui est l’honneur. Le château-musée, davantage connu pour les collections égyptiennes de Mariette, conserve le fonds le plus prestigieux des musées de province en matière de vases étrusques, italiotes, corinthiens, rassemblés par Pancoucke et achetés par la Ville en 1861. Le Musée de la céramique de Vallauris (Alpes-Maritimes), le Musée de la faïence et des arts de la table de Samadet (Landes), le Musée des arts décoratifs de Bordeaux (céramique bordelaise des XVIIIe et XIXe siècles), le Musée de la faïence de Marseille, le Musée des arts décoratifs de Strasbourg ou le Musée de l’École de Nancy, à Nancy, abritent également des ensembles importants reflétant une longue tradition française.
Réunir la Manufacture nationale de Sèvres et le Musée national de la céramique en un même établissement public : la question est en cours d’étude. « Le ministre de la Culture m’a confié une mission d’étude et de réflexion pour l’éventualité d’un rapprochement entre la Manufacture et le musée, affirme David Caméo, directeur de la Manufacture nationale de Sèvres. J’ai remis mon rapport, mais je ne peux pas encore vous en dévoiler le contenu. Je n’ai pas eu de retour pour l’instant. » Si David Caméo semble favorable à ce projet, en rappelant que jusqu’en 1934 les deux institutions étaient rattachées l’une à l’autre, Antoinette Hallé, directrice du musée, envisage ce projet avec beaucoup d’inquiétude. « Il s’agit d’une véritable OPA hostile du directeur de la Manufacture, clame-t-elle. Aujourd’hui, la Manufacture ne produit plus rien et doit justifier ses pertes d’argent. Si cette OPA réussit, ce sera pour de mauvaises raisons. La Manufacture veut récupérer les postes du musée. Ce sera une affaire purement politique. Il n’y a aucune raison de devenir un établissement public, cela n’apportera rien au musée. » Un discours pour le moins direct.
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Une vieille tradition muséale
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°236 du 28 avril 2006, avec le titre suivant : Une vieille tradition muséale