David Caméo, directeur de la Manufacture nationale de Sèvres depuis 2003

« Je n’hésite pas à mettre la main à la pâte »

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 23 février 2009 - 1858 mots

Directeur de la Manufacture nationale de Sèvres depuis 2003, il multiplie les actions pour valoriser le patrimoine artistique de cette institution séculaire.

Vous êtes discret, mais sous vos directives, la Manufacture nationale de Sèvres connaît un vrai renouveau. Avez-vous une passion particulière pour la porcelaine  ?
David Caméo  : C’est une passion personnelle, à la fois pour le côté esthétique, mais aussi pour la matière elle-même. D’ailleurs, je suis collectionneur… Mon père avait « un regard », il a éduqué le mien  : il était sertisseur en joaillerie, il m’a sensibilisé à l’objet, au savoir-faire, aux métiers d’art. Cela m’a toujours captivé.

Votre formation vous prédestinait-elle à prendre les rênes de cette institution  ?
J’ai effectué mes études à Sciences Po Bordeaux, tout en ayant toujours deux centres d’intérêt  : la musique, classique et contemporaine, et les arts plastiques. À cette époque se déroulait à Bordeaux Sigma, un festival des avant-gardes des arts de la scène et des arts visuels. Il y avait là une manière de penser, de vivre la culture différemment  : mon premier choc  !
Simultanément se déroulaient des expositions au CAPC, Centre d’arts plastiques contemporains, qui présentaient les grandes tendances artistiques, mais aussi d’autres approches de l’art et des artistes  : cela a constitué un second choc pour moi.

Mais c’est finalement votre engagement politique, qui vous arrime au secteur culturel  ?
Oui, j’ai été élu à Angoulême, ma ville natale, à l’âge de 24 ans et nommé adjoint à la culture, une mission que j’ai exercée douze ans. Un moment d’engagement collectif intense qui a forgé ma personnalité. Je m’intéressais aux arts graphiques, on m’a confié le Salon de la bande dessinée, et j’ai essayé d’insuffler à cet événement une ambition économique.
En 1978, j’ai lancé le Symposium des arts plastiques, et j’ai rencontré Jack Lang dans le cadre d’un travail de réflexion sur la place de la culture dans une ville moyenne. Rapporteur de la Commission nationale sur les arts plastiques en 1981 et 1982, j’ai ensuite intégré le ministère de la Culture pour m’occuper des relations extérieures de la Délégation aux arts plastiques.

Qu’est-ce qui vous a marqué dans votre mission au ministère de la Culture ?
Nous avons construit une politique réfléchie de décentralisation culturelle avec les Frac et les centres d’art. Nous avons impliqué les villes et les régions, encore très frileuses, dans l’art contemporain. Il y avait de grandes carences dans la diffusion de l’art contemporain en région ; à l’exception de quelques villes, le public se trouvait dans l’obligation de venir à Paris. L’écoute a été bonne de la part des élus, c’était une période très riche.

En 1989, la mairie d’Angoulême bascule à droite, vous vous recentrez sur le ministère  ?
Oui, je n’ai conservé que la présidence de l’orchestre de Poitou-Charentes car je l’avais créé. Au ministère, je me suis occupé ensuite des acquisitions et des commandes publiques, puis du soutien à la création et à la diffusion, enfin j’ai été conseiller technique chargé des musées, des enseignements artistiques, des grands projets auprès de Catherine Trautmann… Cela forme un tout, il n’y a pas une mission qui m’ait plu davantage qu’une autre.
J’ai vu se développer cette décentralisation des arts plastiques que certains pays étrangers nous envient. Les compétences sont désormais en place dans les collectivités territoriales, les formations de gestionnaires, de médiateurs, de conservateurs se sont multipliées. Et lorsqu’il y a besoin d’une expertise, les directions régionales des Affaires culturelles apportent leur soutien. Bien sûr, on peut critiquer le fait que l’art contemporain soit soutenu essentiellement par l’État et les collectivités locales et pas suffisamment par le privé, mais il y a une tradition dans notre pays de commandes aux artistes et d’enrichissement du patrimoine.

Vous avez été en 2001 conseiller technique à la culture de Lionel Jospin, alors Premier ministre, mais c’est Jean-Jacques Aillagon qui vous propose la direction de la Manufacture…
Il m’a choisi en 2003 pour rénover l’outil technique, raviver la créativité, gagner en lisibilité économique et m’a donné carte blanche. Nous avons monté des coproductions avec des galeries françaises et étrangères pour la première fois, accueilli des artistes en résidence, construit une politique éditoriale, portant sur la création contemporaine, un catalogue classique et l’édition de pièces prestigieuses ou inédites du patrimoine, comme le Vaisseau à mât, pièce du xviiie siècle, réalisée en très peu d’exemplaires et présente au MET à New York, dans les collections de la reine d’Angleterre ou au musée du Louvre, ou encore La Danseuse à l’écharpe, en biscuit, conçue par Agathon Léonard pour l’Exposition universelle de 1900. Ces pièces se vendent sans difficulté.
Mais la création contemporaine est devenue en quelques années l’élément stratégique de la Manufacture avec la venue de près de quatre-vingts plasticiens, designers et céramistes  : Louise Bourgeois, Pierre Soulages, Ettore Sottsass, Fabrice Hyber…

Comment est financée la Manufacture de Sèvres  ?
Le ministère de la Culture finance le personnel, soit cent cinquante agents. Par ailleurs, le budget de fonctionnement qui s’élève à trois millions d’euros par an est couvert aux deux tiers par la vente des œuvres et par nos activités  ; nous devrions nous rapprocher rapidement de l’autofinancement.
Jusqu’à présent, la Manufacture dépendait de la Délégation aux arts plastiques et le musée qui la jouxte de la direction des musées de France. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, un seul établissement va réunir les deux entités pour faire émerger, dès 2009, un véritable projet de site, valoriser la fréquentation, mener une politique d’expositions plus offensive et coopérer davantage avec les collectivités locales.

On dit le conseil général des Hauts-de-Seine intéressé par un transfert de propriété de la Manufacture comme cela s’est produit pour d’autres monuments nationaux  ?
Je l’ai lu dans la presse, sans en savoir davantage. Chargé de la préfiguration de ce nouvel établissement public, j’ai proposé que le département soit membre de son conseil d’administration. Il soutient déjà les résidences d’artistes, les publics scolaires, l’exposition consacrée à la production de Sèvres au xixe siècle, et pourrait demain nous épauler pour mener des échanges à l’international, car cela participe de sa propre attractivité.

Comment comptez-vous développer ce nouvel établissement public  ?
En renforçant son identité autour de la création et de son patrimoine, en multipliant les expositions temporaires, dans et hors les murs, en lançant des publications sur l’histoire de l’institution, telle la collection intitulée Sèvres, une histoire céramique, en développant les commandes à des artistes de haut niveau, afin d’accroître son rayonnement. Nous sommes la seule manufacture d’État membre du Comité Colbert, aux côtés de firmes du luxe, et à ce titre très actifs dans la réflexion stratégique des entreprises françaises, sans concurrencer le privé, car nous nous inscrivons sur le créneau de l’exceptionnel.

Quelle est l’image de la Manufacture à l’étranger  ?
Excellente. Les expositions sont autant de portes ouvertes pour conquérir de nouveaux marchés prometteurs comme l’Asie, en particulier le Japon où l’on fera une grande opération en 2011, mais aussi Taiwan, la Corée du Sud. Après Saragosse, Londres, Riga, Casablanca, Hohenberg en Allemagne, Toronto, nous avons en ce moment une présentation de deux cents pièces contemporaines à Rome puis à Faenza, en Italie. Nous irons également à Moscou, à New York et en Europe du Nord dans les prochaines années.

Pourquoi une institution séculaire, aux collections prestigieuses comme la Manufacture, s’est-elle fortement réinvestie dans la création contemporaine  ?
Mais cela n’est pas nouveau. Dès 1748 la Manufacture faisait appel à l’artiste contemporain le plus en vue, le « Jeff Koons du moment », en l’occurrence François Boucher  ; il a réalisé une collection sur le libertinage et son biscuit Le Baiser volé était une œuvre très osée pour l’époque. Dans les fondamentaux de Sèvres figurent la conservation du patrimoine, la transmission des savoir-faire, l’édition et la réédition de pièces du répertoire et les commandes aux plasticiens, designers ou céramistes. C’est une forme d’enrichissement des collections de la Manufacture, puisqu’un exemplaire est à chaque fois conservé.
Ainsi, une œuvre réalisée par Louise Bourgeois, dont nous gardons un modèle, valait 250  000 euros à sa création, elle en vaut beaucoup plus aujourd’hui  !

Les rééditions de ces pièces répondent-elles avant tout à des fins commerciales  ?
Non, pas exclusivement. Nous devons être capables de refaire à l’identique les pièces de notre répertoire, dont certaines sont chez nous, d’autres dans des musées du monde entier, afin d’assurer la préservation des gestes et des techniques. Nous disposons pour cela d’un trésor  : cent mille moules en plâtre conservés depuis l’origine. Des collectionneurs nous commandent, par exemple, des biscuits de François Boucher, dont les prix s’échelonnent entre 800 et 10  000 euros.
Il y a aussi les commandes de l’État, de la présidence de la République, du Premier ministre pour les cadeaux protocolaires et la décoration des résidences. Nous les appelons les « attributions », elles représentent chaque année un tiers de notre production et ont contribué à la renommée de Sèvres  : partout dans le monde, vous trouverez des pièces de porcelaine, dans les musées comme dans les ambassades. Elles participent de l’excellence de cet art de vivre à la française  : savez-vous que le vainqueur du Tour de France se voit chaque année remettre, au nom de la présidence de la République, une pièce de Sèvres ?
Toutes ces rééditions sont possibles parce que nous continuons à fabriquer nos pâtes de porcelaine, nos grès et les couleurs exceptionnelles de grand et petit feu, sans oublier l’or 24 carats pour les décors. Nous produisons trois mille à quatre mille pièces par an.

Combien de temps vous faut-il pour fabriquer un objet  ?
Entre le dessin, la fabrication avec ses essais incontournables, le séchage, les cuissons intermédiaires, la décoration, sans oublier les accidents de cuisson, il faut compter une année, parfois deux, voire davantage. Mais cette maison s’est toujours illustrée par la rareté et l’excellence. Ses premiers clients étaient roi et reine, puis elle a produit des objets remarquables pour les grands de ce monde, des pièces uniques pour les Expositions universelles comme celles présentées à Sèvres en ce moment. Une des dernières éditions, la série de trois cents bijoux créés par Annabelle d’Huart pour la Manufacture a nécessité deux ans de travail  ; le canapé en porcelaine La Bocca de Bertrand Lavier, pas moins de dix-huit mois.

Qu’est-ce qui vous motive le plus ?
Je vous l’ai dit, je suis ici par passion  ! J’ai une vision, un projet d’entreprise, une stratégie de développement, pour assurer la croissance de la Manufacture  : une institution d’État au service d’artistes qui vont sublimer la matière, mais aussi une entreprise culturelle qui doit dégager des recettes pour contribuer à l’équilibre de son budget. Le personnel a immédiatement adhéré à ce projet. Je suis curieux, enthousiaste et je n’hésite pas à mettre « la main à la pâte »  !

Biographie

1953
Naissance à Angoulême.

1977-1989
Adjoint à la culture à la mairie d’Angoulême.

1982
Chef du département des relations extérieures à la Délégation aux arts plastiques (DAP).

1994
Chef du département du soutien à la création et à la diffusion à la DAP.

1997
Conseiller technique de Catherine Trautmann.

2000
Conseiller technique de Catherine Tasca.

2001
Conseiller pour la culture de Lionel Jospin.

Depuis 2003
Directeur de la Manufacture nationale de Sèvres.

Le Musée national de Céramique
Fondé au début du xixe siècle par Alexandre Bronguiart, directeur de la manufacture impériale de porcelaine de Sèvres de 1800 à 1847, le Musée national de céramique, situé à proximité de la Manufacture, réunit des exemples de pièces de toutes les époques et de toutes les civilisations du monde. Ses collections comptent 50 000 numéros classés selon les techniques utilisées, des jarres espagnoles en terre cuite aux porcelaines du Japon en passant par la faïence et le verre.

Des céramistes de choix
120 céramistes travaillent dans les ateliers de la Manufacture. Tous suivent trois ans de formation interne avant de rejoindre l’un des 27 ateliers et 30 corps de métiers de l’institution. La Manufacture fait également appel à des artistes invités. En 2009 sont en production un vase de Pierre Soulages, édité à 10 exemplaires, et un autre de Pierre Charpin : Ruban. En préparation, le prototype du vase Face de Christian Biecher devrait sortir du four au printemps.

L’exposition « Prospection et Perspective »
À Paris, la Galerie Favardin et de Verneuil propose, du 28 mars au 25 avril 2009, une exposition de céramiques contemporaines, signée par le spécialiste du genre Yves Peltier, par ailleurs commissaire de la Biennale de Vallauris en 2006 et 2008. « Prospection et Perspective » rassemble les créateurs contemporains utilisant cette technique, dont Jean-Gabriel Cruz (ci-contre), Bean Finneran et Kim Simonsson, qu’ils soient artistes, designers ou exclusivement céramistes. À cette occasion, Clémence Van Lunen, invitée par la Manufacture nationale de Sèvres en 2006 et prix de la ville de Vallauris en 2008 pour Fleur, présentera sa pièce intitulée Gothic.www.favardin-verneuil.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°611 du 1 mars 2009, avec le titre suivant : David Caméo, directeur de la Manufacture nationale de Sèvres depuis 2003

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