La Commission Limbach a tranché malgré des pressions internationales : la fondation du Patrimoine culturel de Prusse ne doit pas restituer le trésor des Guelfes.
La Commission Limbach, créée en 2003 pour traiter des cas de restitution de biens spoliés par les nazis, s’est réunie le 15 janvier dernier pour décider de la légitimité de la demande de restitution du trésor des Guelfes. Elle a tranché le 20 mars, en retenant les arguments de la fondation du Patrimoine culturel de Prusse, et s’est prononcée contre une restitution aux héritiers des marchands d’art juifs qui avait vendu ce trésor à l’Etat de Prusse en 1935.
Le trésor des Guelfes, composé à l’origine de 82 pièces, est l’une des plus grandes collections d’art religieux médiéval détenue par un musée. Le duc de Brunswick a vendu en 1929 cet ensemble à un consortium de marchands d’art juifs : I. et S. Goldschmidt, Z.M. Hackenbroch, Isaac Rosenbaum et Saemy Rosenberg. Le document de la transaction a disparu. Un peu moins de la moitié des pièces a ensuite été vendue, essentiellement aux Etats-Unis. En raison du krach boursier de 1929, les marchands avaient rencontré des difficultés à vendre le reste de la collection. Les 42 pièces restantes ont été par la suite vendues en 1935 à l’Etat de Prusse, dirigé par Goering. La vente a été réalisée avec une perte de 10% sur le prix d’acquisition initiale, pour la somme de 4,25 millions de Reichsmark, payée en partie comptant et en partie en œuvres d’art. Cette contrepartie en œuvres d’art s’explique par les lois de l’époque qui limitaient l’exportation de devises : un marchand réfugié à Amsterdam a ainsi été payé en œuvres d’art.
Après la guerre, après avoir transité en zone alliée, le trésor des Guelfes rejoint la collection du musée des Arts décoratifs de Berlin en 1963. Ce musée étant en cours de rénovation, le trésor est actuellement exposé au musée Bode. Ces deux musées berlinois sont gérés par la fondation du Patrimoine culturel de Prusse.
Les héritiers de trois marchands avaient posé une demande de restitution de ces biens auprès de la fondation en 2008. Ils ont été ensuite rejoints par les héritiers d’un marchand de Francfort. Devant l’impasse des négociations, les deux parties ont décidé de saisir la « Commission Limbach », dirigée par Jutta Limbach, l’ancienne Présidente de la Cour constitutionnelle allemande. Cette commission a une procédure de saisine contraignante : elle ne peut être saisie que par consentement des deux parties, ce qui explique qu’elle n’a traité que huit cas depuis sa mise en place.
Du côté des héritiers, l’argumentaire est simple et clair : la vente par des marchands d’art juifs a eu lieu en 1935, sous la houlette de Goering, et a été réalisée à perte. Il s’agit d’un cas de spoliation nazie. Effectivement, la loi allemande prévoit que toutes les ventes d’art par des juifs après 1933 soient déclarées nulles et non avenues, car réalisées sous la contrainte. Il subsiste toutefois une exception, si le propriétaire de l’œuvre peut prouver que la vente n’a pas été réalisée sous la contrainte. Mais la preuve de la charge revient au propriétaire, et non au demandeur de la restitution.
La fondation du Patrimoine culturel de Prusse a donc construit son argumentaire. Tout d’abord, la composition du consortium des marchands d’art n’est pas connue avec certitude. Une demande de restitution ne peut intervenir que si elle inclut tous les ayant droits. L’argument principal porte cependant sur le prix de la transaction : le prix payé par l’Etat de Prusse était juste et équilibré, selon la fondation. Il représentait certes une perte de 10% par rapport au prix d’acquisition initial, mais correspondait au contexte difficile du marché de l’art pendant la grande dépression. Les marchands ont ensuite pu disposer à leur guise de l’argent et des tableaux rapportés par la vente.
Autre argument majeur pour prouver que la vente n’a pas été réalisée sous contrainte, selon Hermann Parzinger, Président de la fondation, la collection ne se trouvait pas en Allemagne au moment de la vente : après avoir été exposé aux Etats-Unis, ce qu’il restait du trésor des Guelfes était entreposé à Amsterdam. Les Pays-Bas n’étaient pas occupés par l’Allemagne en 1935. Enfin, conclut la fondation, les tenants et aboutissants de la collection étaient connus depuis la fin de la guerre, et le trésor exposé depuis 1963 à Berlin. Dès lors, la fondation s’étonne que la demande de restitution n’ait eu lieu qu’en 2008.
Tous les yeux étaient braqués sur la commission, au regard des révélations de l’affaire Gurlitt en novembre 2013. Un geste de l’Allemagne était attendu, après avoir été critiquée pour son manque de transparence dans la gestion du trésor de Munich. Ce geste aurait non seulement fourni un apaisement, mais également envoyé un signal positif aux héritiers demandant une restitution des tableaux à Gurlitt. Avant même que le scandale Gurlitt n’éclate, la ministre de la Culture israélienne, Limor Livnat, avait dès septembre dernier, écrit à son homologue allemand Bernd Neumann pour lui signifier qu’elle suivrait attentivement les délibérations de la commission, et qu’elle espérait que l’Allemagne prendrait ses responsabilités historiques et morales. Selon le Wall Street Journal, le gouvernement américain aurait également fait pression sur le gouvernement allemand.
Visiblement détachée de ces pressions, la commission Limbach a tranché en faveur de la fondation, en se rangeant à ses arguments : « la commission est d’avis que la vente du trésor des Guelfes n’a pas été contrainte par la persécution. Elle ne peut de ce fait pas recommander une restitution du trésor des Guelfes aux héritiers des quatre marchands d’art ».
L’avis de la commission n’est pas contraignant juridiquement, mais il est généralement suivi. Les avocats des héritiers ont affirmé que ceux-ci étaient très déçus, mais ont refusé de prendre position, réclamant un temps de réflexion. L’affaire n’est donc pas encore close.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Restitution : le trésor des Guelfes reste à Berlin
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €