Issu d’un milieu bourgeois, Goering commence sa collection afin de meubler Carinhall, un modeste pavillon de chasse ainsi nommé en mémoire de sa première épouse, Carin, une baronne suédoise décédée en 1931.
Acquis à la fin de 1933, réaménagé par ses soins à grands frais en 1936, l’ensemble comporte une piscine, un théâtre et un sauna. De nouveaux bâtiments sont construits. Salons de chasse, couloirs et autres pièces nécessitent des éléments de décoration. Il dispose au début d’une sculpture de Jacopo de Barbari, un nu de femme, et d’un ensemble de portraits de héros allemands. C’est peu. Il fait bien vite savoir qu’il apprécie les œuvres d’art, et nombreux sont ceux qui saisissent l’occasion de contenter l’un des piliers du Reich. Pour son second mariage, le ministre des Finances lui fait parvenir un Cranach. La naissance de sa fille Edda marque l’arrivée d’un autre Cranach, La Madone et l’Enfant, un tableau qu’a obtenu la ville de Cologne en liquidant un Van Gogh de ses collections. Il effectue également des achats lors de Salons et fait appel à des marchands. Il acquiert dans ces années-là environ deux cent cinquante objets d’art par an avec une préférence pour les vieux maîtres. En 1939, à la veille de l’invasion de la Hollande, il possède environ deux cents peintures. Goering ne s’en cache pas : « J’ai l’intention de piller et je le ferai méticuleusement. » Sa première proie : la galerie du marchand juif Goudstikker, plus d’un millier de toiles de maîtres hollandais et flamands. Goering se réserve les meilleurs morceaux. Fin 1940, le voilà bientôt à Paris, ses agents et représentants effectuent pour lui des achats sur le marché parisien. Des opérations d’autant plus intéressantes que la parité entre le mark et le franc, comme pour les autres devises des pays envahis, est de l’ordre de 1 à 20.
Il s’empare de 500 tableaux stockés au Jeu de paume Bientôt il découvre le Jeu de paume où sont réunies les collections saisies aux marchands et collectionneurs juifs. Goering enrichit sa collection de Seurat, Pissarro, Monet, Sisley, Cézanne… Il fait son choix lors d’expositions préparées pour lui par Bruno Lohse. Il effectuera une vingtaine de visites au musée du Jeu de paume. Fin 1942, dans ce seul musée, il aura mis la main sur cinq cents tableaux sélectionnés dans le stock constitué par l’ERR. La moitié servant ensuite lors d’échanges avec des marchands. Les tableaux retenus sont emmenés à Carinhall dans deux wagons spécialement aménagés. Lors de ses emplettes, il veille à ne pas irriter un autre collectionneur : Hitler, qui constitue lui aussi un ensemble pour son futur musée de Linz. Il compte 1 375 peintures dans sa collection dont « une soixantaine d’œuvres de Cranach ou de son atelier, trente Ruysdael, autant de Boucher et quarante Van Goyen (…). À cela s’ajoutent sculptures, tapisseries, vitraux, sans compter les pierres précieuses dont il était friand. Son dernier cadeau d’anniversaire, et vraisemblablement le dernier tableau entré dans sa collection, est un Teniers, Country Fair, offert en juin 1945 par l’industriel Friedrich Flick. »(1) En raison de l’avancée de l’Armée rouge sur Berlin, Goering rapatrie au printemps 1945 ses collections dans un château à Veldenstein, près de Munich, puis dans le réduit de Berchtesgaden, à proximité de l’Autriche. Il se rend à l’armée américaine le 9 mai 1945. Alors qu’il est emprisonné, sa plus grande désillusion sera d’apprendre que le Vermeer qu’il possédait était un faux. Le faussaire est Van Meegeren, l’un des plus doués de sa génération. Carinhall a été dynamité et Goering s’est suicidé. Une partie de sa collection entreposée dans des wagons à Berchtesgaden a été pillée, notamment par des membres de la Gestapo chargés de sa surveillance. Plusieurs dizaines d’œuvres demeurent, à ce jour, introuvables.
Nancy H. Heyde, Beyond the Dreams of Avarice, the Hermann Goering Collection, mars 2009.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Collection Goering : le festin d’un rapace
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°630 du 1 décembre 2010, avec le titre suivant : Collection Goering : le festin d’un rapace