Histoire - Restitutions

Rose Valland, l’art d’espionner

Par Philippe Sprang · L'ŒIL

Le 12 novembre 2010 - 555 mots

Juillet 1940. 1,75 m, une allure austère et un air sévère, de fines lunettes, une bouche pincée, des cheveux tirés en arrière : c’est l’image que renvoie Rose Valland aux soldats allemands qui pénètrent dans le Jeu de paume.

Attachée de conservation, engagée bénévole, elle a participé les mois précédents à l’évacuation des collections des Musées nationaux. Beaux-Arts, École du Louvre, Institut d’art et d’archéologie, c’est bardée de diplômes qu’elle est désormais affectée à la conservation du Jeu de paume par Jacques Jaujard, le directeur des Musées nationaux. Elle voit les Allemands escorter les camions venant du Louvre et de l’ambassade d’Allemagne, déposer des caisses remplies de tableaux saisis aux collectionneurs juifs. Déjà elle prend des notes. Très vite une exposition des œuvres saisies est montée. « Goering vit toutes les peintures, l’une après l’autre et s’intéressa à chacune d’elle. La guerre et sa fortune mettaient à sa merci quelques-uns des plus célèbres tableaux de Rembrandt, Teniers, Vermeer, Renoir ou Gauguin. » (Le Front de l’art, 1961). Elle comprend que les œuvres saisies vont partir en Allemagne. Dès lors elle espionne, note, récupère les papiers carbone laissés par les Allemands. Elle tente d’inventorier les œuvres, d’identifier les convois, les destinations. Les Allemands sont gênés par ce témoin qui reste dans leurs pattes. Par quatre fois ils la mettent en demeure de quitter le musée, mais elle finit toujours par revenir et rester. « Comme j’avais vis-à-vis d’eux la responsabilité des gardiens chargés du chauffage, du nettoyage et des manutentions, il était pratique et plus hiérarchique de m’adresser les reproches collectifs ou même personnels les concernant. J’étais pour les Allemands une articulation de leur discipline. » Elle se lie d’amitié avec le chef emballeur qu’elle fait parler. Idem avec les chauffeurs chargés du convoyage. Ses notes, la liste des dépôts, le détail des collections et leur destination seront essentiels à l’heure de récupérer les chefs-d’œuvre français. 

Une héroïne bien mal récompensée
Partie en Allemagne à la Libération pour contribuer à la récupération des collections juives, Rose Valland parviendra à retrouver un grand nombre d’œuvres. Elle publie ses mémoires en 1961, adaptés au cinéma en 1964 par John Frankenheimer : Le Train, avec Burt Lancaster, Suzanne Flon et Jeanne Moreau. De retour à Paris, si elle continue de traiter les dossiers de spoliés, son caractère et la volonté de l’administration de tourner la page font qu’elle se retrouve bien vite placardée. D’abord dans un bureau de l’Union des artistes de la rue Berryer puis dans un cagibi exigu donnant dans la cour du Louvre. Elle accumule les dossiers, les archives, se démène dans l’indifférence générale. Elle prend sa retraite en 1968, dans son deux-pièces du 4, rue de Navarre. De temps à autre, elle revient dans son ancien bureau pour y consulter ses fiches. Elle s’est éteinte il y a trente ans, le 18 septembre 1980. « Elle a fini dans un mouroir de Ris-Orangis et personne n’a levé le petit doigt pour s’occuper d’elle. On l’a enterrée à la sauvette. Un mois après, on a versé des larmes de crocodile, on l’a décorée à titre posthume », se souvient Léon Christophe, aujourd’hui décédé. Depuis, heureusement, une plaque figureau musée du Jeu de paume, une association en sa mémoire a vu le jour, des livres lui sont consacrés et une exposition lui rendait hommage au printemps dernier.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°630 du 1 décembre 2010, avec le titre suivant : Rose Valland, l’art d’espionner

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