Cinéma

Monuments Men, des experts sur le front de l’art en Europe

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 19 février 2014 - 1264 mots

En pleine année de commémoration de la libération de l’Europe et durant l’affaire Gurlitt, un film de George Clooney (re)met à l’honneur les Monuments Men, cette division de spécialistes qui a débarqué en 1944 avec les Alliés pour sauver le patrimoine et les chefs-d’œuvre spoliés par les nazis.

Comme une ironie du sort, coïncident depuis quelques semaines le feuilleton à rebondissements de l’affaire Gurlitt avec la campagne promotionnelle du film du réalisateur George Clooney consacré aux Monuments Men. Division de l’armée de Patton chargée, à partir de 1943, de la protection des monuments et des œuvres d’art, elle était constituée de conservateurs et d’universitaires – mais pas de marchands, qui auraient été juges et parties – qui furent sommairement initiés aux rudiments de l’armée avant d’être envoyés sur le front de la libération afin de signaler les monuments à ne pas bombarder. Hildebrand Gurlitt fut d’ailleurs interrogé par les membres de cette escouade internationale postés en Allemagne ; mais le galeriste réussit, semble-t-il, à tromper les agents en leur faisant penser qu’il n’aurait joué aucun rôle, même secondaire, dans le trafic d’œuvres. Tenant même des propos antinazis, et mettant en avant ses origines juives par une aïeule, Gurlitt se verra ainsi restituer par les autorités une partie des œuvres de sa collection qui, plus de soixante-dix ans plus tard, sera sous les feux médiatiques.

L’action héroïque de Rose Valland
Depuis novembre 2013, en effet, date à laquelle le magazine allemand Focus a révélé la saisie, en février 2012, de 1 406 œuvres d’importance dans l’appartement munichois de Cornelius Gurlitt, fils du marchand d’art mandaté auprès des nazis pour écouler l’art dégénéré, les révélations pleuvent. Et de redécouvrir ainsi l’existence de cette équipe internationale sous juridiction américaine qui compta jusqu’à 345 volontaires mandatés pour recenser, signaler et protéger les monuments dès 1944, puis partir à la recherche des dépôts d’œuvres en Allemagne, en Autriche, jusqu’en République tchèque. Monuments Men, Rose Valland et le commando d’experts à la recherche du plus grand trésor nazi a été rédigé par Robert Edsel et publié au USA en 2009. Cet ouvrage dont s’est inspiré le réalisateur – et aussi acteur – George Clooney est une mine de renseignements qui met en lumière le rôle crucial de ces hommes, mais aussi de deux Français : Jacques Jaujard et Rose Valland. Le premier fut le directeur du Louvre et supérieur hiérarchique de Rose Valland qui « espionna » les nazis au sein du Jeu de paume où elle était en poste à la conservation. Son courage et son intrépidité, sous couvert d’une personnalité passe-partout, lui permirent de recenser les œuvres volées aux familles juives à partir de 1940. Son aide fut tout aussi décisive quand il s’est agi de mettre la main sur les réserves allemandes : c’est elle qui avertit James Rorimer de l’existence des dépôts dans les châteaux bavarois de Neuschwanstein et Hohenschwangau (dans la résidence de Louis II de Bavière étaient conservées la plupart des saisies provenant de France), dans le monastère de Buxheim à Nikolsburg, Amstetten et Köglen en Autriche. La lecture de ses carnets de notes est tout simplement édifiante pour comprendre la redoutable organisation qui finit par systématiser le pillage des collections israélites et les luttes intestines entre le Reichsmarschall Göring et Paul Rosenberg. Comme le rapporte Rose Valland : « Tout était à surveiller et à retenir, car on ne sait jamais sur le moment le détail qui comptera plus tard. » À quatre reprises, les nazis la congédieront pour sabotage ou ruse, décidant même de la liquider. Mais Valland ne se démontera pas. Pas plus qu’elle ne sautera dans les bras  du Monuments Men Rorimer – futur  directeur du Met de New York à partir de 1955 – à qui elle mettra de longs mois à confier ce qu’elle savait. Après tout, sa méfiance n’avait-elle pas été sa meilleure assurance vie ?

Piégées dans des mines de sel
Ces carnets publiés chez Fage en 2011 montrent comment les experts au service des nazis sous-estimaient le prix des œuvres afin de s’enrichir. À n’en pas douter, Gurlitt faisant partie à Berlin des quatre experts reconnus par le Reich pour se débarrasser auprès de collectionneurs des œuvres d’art dégénéré, aura procédé de semblables façons. Lui qui avait promu l’expressionnisme lors de son mandat au Musée de Zwickau sera resté sensible au mouvement dont on retrouve de nombreux témoignages dans la collection sur laquelle veillait maladivement son fils Cornelius depuis les années 1960 dans la réclusion de son appartement munichois. L’ouvrage d’Edsel, s’il ne relate pas la rencontre entre Gurlitt et le bataillon d’experts du général Patton, ni même des visites de Gurlitt à Paris alors qu’il était en charge des achats pour le Führermuseum de Linz, fourmille de détails. Il relate comment les premiers mois d’action des Monuments Men furent pénibles en pleine libération de l’Europe au milieu des combats. Sans moyens mis à leur disposition, ni vraiment d’autorité militaire, ces universitaires et ces fonctionnaires venant tous du milieu des arts, peinèrent au début de leur mission  à trouver une efficacité à cette tâche  sisyphéenne : protéger le patrimoine d’une Europe soumise aux bombardements. Ce n’est que progressivement, découvrant l’ampleur des vols et du nombre d’œuvres à retrouver que l’équipe se structura et s’attela à cette chasse  au trésor. Jusqu’à l’épisode des mines de sel d’Altaussee en Autriche, dissi- mulées dans la montagne    et piégées pour détruire des œuvres aussi majeures que le Retable de l’agneau mystique de Jan Van Eyck (aujourd’hui à Gand). Destinés au musée du Führer à Linz (le grand projet d’Hitler), quelque 1 687 tableaux avaient gagné les profondeurs de cette vallée autrichienne difficile d’accès à partir de l’hiver 1943.

Si certaines études récentes démontrent que ce sont les mineurs locaux qui ont sauvé la mine de la destruction, il n’en reste pas moins que les Monuments Men ont pris tous les risques et surtout mis au point des méthodes inédites d’emballage et de transport de ces trésors à partir des stocks de bottes et de manteaux de l’armée nazie. Leur action visa aussi à ce que certaines villes allemandes puissent échapper à la destruction totale alliée afin de préserver d’irremplaçables témoignages architecturaux. Ainsi, la ville de Clèves a-t-elle rendu un vibrant hommage au Britannique Ronald Balfour pour avoir protégé ses archives et de précieux documents, même s’il ne put empêcher la ville d’être détruite à 97 %. Il n’était d’ailleurs pas si évident au début de leur mission de s’engager dans la sauvegarde du patrimoine ennemi, mais ces hommes éclairés passèrent outre ces considérations et firent prévaloir la nécessité de l’art sur celle de la politique. Fin janvier, Sotheby’s New York a offert  à la vente trois œuvres sauvées par les Monuments Men avant que le 13 mars ne s’ouvre, dans cette même ville à la Neue Galerie, une exposition consacrée à l’« art dégénéré ». Davantage dans  la commémoration, le 7 février, jour de sortie nord-américaine du film, une exposition s’est ouverte au Smithsonian de Washington pour célébrer l’action  de ces hommes qui sauvèrent une grande partie de l’art occidental. En France,  le ministère s’attelle quant à lui à relancer les restitutions. Trois œuvres, dont une Vierge à l’Enfant de Lippo Memmi, sont restituées ce mois-ci ; et une commission initiée en 2013, composée de la commission d’indemnisation des victimes  de spoliations, de la fondation pour  la mémoire de la Shoah et de scientifiques, compte bien accélérer la cadence.  Quant à Gurlitt, après avoir déclaré  ne vouloir rendre aucune œuvre, il  accepterait aujourd’hui de négocier  une solution équitable aux demandes  de restitutions. Mais l’affaire est loin d’être terminée.

The Monuments Men

Film historique américain de George Clooney, adaptation cinématographique du livre de Robert Edsel.
Avec George Clooney, Matt Damon, Bill Murray, Jean Dujardin, Cate Blanchett et John Goodman.
1 h 58 min. Sortie dans les salles le 12 mars 2014.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°666 du 1 mars 2014, avec le titre suivant : Monuments Men, des experts sur le front de l’art en Europe

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