Au risque de quelques accommodements avec les faits, George Clooney livre un divertissement grand public assez fidèle à l’action des héros Monuments Men.
Tous les conflits entraînent leur lot de destructions de monuments et de joyaux culturels ; que l’on pense aujourd’hui à la destruction du patrimoine syrien. C’est de ce constat qu’est née en 1943 la MFAA, pour Monuments, Fine Arts, and Archives, une brigade de conservateurs, chercheurs et artistes créée à l’initiative du directeur du Met, avec l’aval du président Roosevelt, afin de protéger les bâtiments historiques et les œuvres présents sur le territoire européen. Très vite, le général Eisenhower les chargera de se mettre en quête des collections spoliées par les nazis, qu’elles soient publiques ou constituées par des familles juives, et de les restituer. Surnommé les « Monuments Men », ce modeste groupe d’hommes – moins d’une dizaine au départ et 345 hommes et femmes de dix-sept pays après 1945 – se répartit à la Libération un peu partout en France, en Belgique, en Italie, puis en Allemagne, suivant la progression du front pour tenter d’éviter le bombardement des monuments.
C’est leur histoire que relate dans son film George Clooney, à partir du livre de Robert Edsel (Monuments Men, JC Lattès, traduit en français en 2010). Ce dernier est d’ailleurs conseiller technique sur le film, ce qui n’a pas empêché Clooney de procéder à quelques arrangements et contractions temporelles, histoire de rendre l’action plus spectaculaire. Une adaptation n’étant jamais complètement fidèle, on ne poussera pas de hauts cris. Cependant, ce qui peut paraître étrange partant de faits historiques validés, le changement des noms des protagonistes est gênant. Qu’il permette à Clooney plus de liberté d’interprétation est sans doute l’une des raisons de ce choix. Mais imaginerait-on appeler Hitler autrement qu’Hitler ? Cela serait pour le moins anachronique… C’est pourtant ce qui se passe avec ce Monuments Men. Ainsi, Cate Blanchett, qui donne ici une belle consistance à la figure de Rose Valland, s’appelle-t-elle… Claire Simone ! Matt Damon, qui incarne James Rorimer, conservateur en art médiéval au Metropolitan Museum de New York, devient lui James Granger. Quant à l’historien d’art George Stout à l’origine de cette brigade d’intervention, il est interprété par George Clooney sous l’identité de Frank Stokes. Pour ceux qui n’ont pas lu le livre d’Edsel, cette substitution d’identité n’a rien de gênant pour la compréhension du film. Pour les autres, elle est juste irritante.
Cate blanchett en Rose Valland
Ce que le réalisateur-scénariste- producteur-acteur réussit en revanche parfaitement, c’est à ne pas enjoliver la situation dans laquelle se sont retrouvés ces hommes sur le terrain. Sans moyens, sans autorité autre qu’intellectuelle, il leur était difficile de faire entendre leur voix auprès des états-majors. Le livre relate même que pour se rendre en Allemagne, l’historien britannique Ronald Balfour dut faire du stop, faute de véhicule. Il sera le premier des Monuments Men à mourir sur le terrain, fauché par une rafale à Clèves où il tentait de protéger un autel médiéval. Ce n’est qu’après avoir réalisé quelques sauvetages spectaculaires que ces spécialistes se verront allouer du crédit. Jacques Jaujard (Jean Dujardin), alors directeur du Louvre et supérieur hiérarchique de Rose Valland (attachée de conservation au Jeu de paume depuis 1934), comprend l’importance du groupe et aide à mettre Rorimer et Valland en relation. Le film met en avant l’action de cette dernière, son rôle décisif dans la localisation des œuvres saisies impunément par les nazis. C’est à elle que l’on doit la fouille du château de Neuschwanstein en Bavière et la piste vers la mine de sel d’Altaussee, où sont cachées plus de dix mille œuvres. Si l’intrigue se focalise, à l’instar du livre, sur la quête de la Madone de Bruges de Michel Ange et le retable de l’Agneau mystique de Jan van Eyck – sur lequel s’ouvre d’ailleurs le film –, il reste cependant flou sur l’organisation nazie à Paris. On ne sait rien du ratissage systématique des appartements désertés par les grandes familles juives, la visite d’Hermann Göring en début de film n’étant pas assez explicite.
Hormis un indéniable humour et le don de Clooney à la réalisation, la principale qualité du film est la réflexion qu’il mène sur la protection de la culture. Si elle n’est pas sans poser de cas de conscience au chef de troupe – doit-on sacrifier des hommes au nom de l’art ? –, le film offre un vibrant plaidoyer afin de revaloriser la culture, rempart à la barbarie et richesse indéniable de nos sociétés. Ouvert et clos par deux chefs-d’œuvre, Monuments Men est une promenade historique souvent jubilatoire qui met en lumière un sauvetage impressionnant : rien de moins que celui de l’art occidental. Assez incontournable au final.
Tiré du Front de l’art de Rose Valland publié en 1961, Le Train fait cependant peu de place à cette héroïne discrète jouée par Suzanne Flon. Il consacre surtout ses efforts sur le sauvetage de ce train rempli d’œuvres spoliées par les nazis en France et entreposées jusqu’en 1944 au Jeu de paume. Si la direction d’acteurs réserve bien des clichés, notamment dans la représentation des militaires allemands, les bombardements et les scènes d’action restent encore saisissants. La fin n’épargne pas une lourde leçon, alternant les plans sur les civils assassinés le long des voies avec d’autres figés sur les noms des grands peintres. Un sacrifice humain au nom de l’art héroïsé par Hollywood.
Film historique américain de George Clooney, adaptation cinématographique du livre de Robert Edsel.
Avec George Clooney, Matt Damon, Bill Murray, Jean Dujardin, Cate Blanchett et John Goodman.
1 h 58 min. Sortie dans les salles le 12 mars 2014.
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Le film « Monuments Men », un vibrant plaidoyer pour l’art et la culture
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Abonnez-vous dès 1 €John Goodman, Matt Damon, George Clooney,Bob Balaban et Bill Murray sont à l’affiche du film Monuments Men de George Clooney, sortie en salles le 12 mars © 20th Century Fox.
Les Monuments Men dans le monastère de Buxheim, en Bavière, 1945. © Archives of American Art, Smithsonian Institution
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°666 du 1 mars 2014, avec le titre suivant : Le film « Monuments Men », un vibrant plaidoyer pour l’art et la culture