CARPENTRAS
Les collections artistiques et de livres de l’évêque d’Inguimbert sont enfin réunies dans l’hôtel-Dieu de Carpentras aujourd’hui entièrement réhabilité.
Carpentras (Vaucluse). « Inguimbertine » : ce nom étrange est rentré dans l’usage quotidien à Carpentras. « On entend les jeunes dire : “On va à l’Inguimbertine cet après-midi ?” Cette bibliothèque est une vraie réussite », se félicite Jean-Yves Baudouy, directeur adjoint des lieux. En 2017, la première phase de rénovation de l’hôtel-Dieu a été livrée, avec la partie bibliothèque de ce pôle envisagé en deux parties. Dans une ancienne aile de l’ancien hôpital, la salle de lecture lumineuse et accueillante a séduit le public local : la bibliothèque comptabilisait 7 000 abonnés, et 130 000 visites (*) en 2023. Jeux vidéo, films, studio de musique y attirent un public jeune, qui est également mis en présence de statuettes antiques, présentées dans de petites vitrines au milieu des rayonnages, ou de grandes peintures de paysage visibles depuis la mezzanine. Un avant-goût de l’ouverture du musée prévue pour le 19 avril, et dernière partie du chantier : « Le but est de donner à voir dans la bibliothèque, et donner à lire dans le musée », résume malicieusement Marc Issepi, cofondateur de l’Atelier Novembre, qui a mené cette transformation architecturale.
Le projet scientifique et culturel écrit par Jean-François Delmas (ancien directeur, aujourd’hui au château de Compiègne), se fonde sur l’originalité du modèle de « musée bibliothèque ». À l’origine des collections exceptionnelles du musée, un certain dom Malachie, évêque de Carpentras de 1735 à 1757, connu sous le nom de Jean-Dominique d’Inguimbert. Né à Carpentras, ce dernier a passé une bonne partie de sa vie à Rome, où il fut le confesseur et le bibliothécaire du futur pape Clément XII. De retour dans sa ville natale, il fait construire l’hôtel-Dieu, et lègue l’ensemble de son immense collection – 18 000 ouvrages, médailles, peintures, mobilier… – à la Ville. « L’un des tout premiers établissements culturels publics de France », souligne Jean-Yves Baudouy.
Longtemps éparpillée dans dix sites de réserve et trois lieux d’exposition, cette collection était sous-valorisée. Ainsi, sur les 35 millions d’euros investis dans la refonte du musée bibliothèque, et son déménagement dans l’hôtel-Dieu, 4 millions ont été consacrés au grand chantier des collections, révélant des œuvres qui n’avaient parfois pas été vues depuis un siècle. « Chaque livre, chaque objet a été vu et, en fonction des cas, a fait l’objet d’un traitement approfondi », indique le directeur adjoint du musée. Quelque 150 000 objets à traiter, la tâche était titanesque pour la commune de 30 000 habitants : « Le bâtiment comme les collections sont hors échelle pour une ville moyenne. C’est un musée bibliothèque qu’on s’attendrait plutôt à trouver à Aix ou Montpellier », souffle l’attaché de conservation. L’État a largement secondé la Ville pour soutenir ce chantier hors norme (4 millions sur 17 pour la seconde tranche), soutenu par les collectivités locales.
L’histoire particulière de la ville, capitale du Comtat Venaissin, explique le legs initial, perpétué par d’autres donateurs aux siècles suivants. Au premier étage du musée, le parcours s’ouvre sur une contextualisation historique et géographique retraçant l’histoire de cet État pontifical au milieu du royaume de France, abritant une importante communauté juive.
La scénographie joue sur des ambiances très différentes pour délimiter trois séquences dictées par les collections : quasiment trois musées dans le musée. Le ton didactique des salles consacrées au territoire laisse ainsi la place à la pénombre d’une bibliothèque, traitée en period room [voir ill.] Le mobilier en boîtes de récupération prisé par l’évêque du XVIIIe siècle – qui s’intéressait plus au contenu qu’au contenant –, est repris, déployant des murs tapissés d’ouvrages.
Un système de grille fixé devant les bibliothèques permet d’enrichir cette exposition immersive d’œuvres visuelles. Avec la présentation des volumes ouverts, le parcours reste digeste, n’assommant pas le visiteur. Quelques pépites sont ainsi mieux présentées, comme une très rare bible vaudoise du XIVe siècle, dont seuls sept exemplaires subsistent aujourd’hui. Les ouvertures ménagées sur les réserves, dispersées au bout des ailes, permettent au visiteur de comprendre que les salles ne présentent que la partie émergée de l’iceberg.
La troisième partie de l’exposition permanente est un musée des Beaux-Arts, qui profite de toute la longueur de l’aile sud et de sa lumière naturelle pour présenter un grand continuum de cimaises blanches et de vitrines sobres, dont le déroulé et le séquençage ne sont pas toujours évidents. L’accrochage met en avant les points forts des collections : le portrait du XVIIe siècle – avec un beau Hyacinthe Rigaud, mais aussi le peintre local Joseph Siffred-Duplessis –, les paysages italianisants du XIXe, avec le Carpentrassien Jean-Joseph-Xavier Bidauld. La Poissonnerie de Frans Snyders ainsi qu’une adoration des mages anonyme de la fin du XVe siècle montrent la profondeur historique et la qualité des collections.
Un ouvrage remarquable de l’édifice ouvre la visite : l’escalier monumental de l’ancien hôpital, tout en stéréotomie, suspendu dans les airs. L’entrée du musée se fait néanmoins derrière cette maçonnerie exceptionnelle, réservant la montée des marches à un espace privatisable, également consacré aux expositions temporaires. L’intervention architecturale, discrète et ancrée dans l’histoire du lieu, est ici malmenée par les contraintes du programme : les collections de Carpentras mériteraient l’accès par cet escalier « quasi-royal », plutôt que le parcours aveugle et tortueux ménagé aujourd’hui.
(*) Contrairement à ce que nous avions écrit dans le JdA n°630, la bibliothèque municipale comptabilisait 130 000 visites en 2023, et non 13 000.
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L’Inguimbertine, un projet culturel inédit
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°630 du 29 mars 2024, avec le titre suivant : L’Inguimbertine, un projet culturel illustre