De la bibliothèque au musée, n’y a-t-il vraiment qu’un pas ?

Carpentras (Vaucluse). Midi : alors que la cloche a sonné dans les deux lycées voisins, un flot de lycéens investit l’Inguimbertine, la bibliothèque installée dans l’hôtel-Dieu. Le rituel est ancré depuis 2017 et l’ouverture de cette salle de lecture, comme en témoignent les chiffres de sa fréquentation : 135 000 visites par an, et 7 000 cartes de lecteurs pour une ville de 30 000 habitants. Première phase de la rénovation de l’hôtel-Dieu, la bibliothèque est désormais complétée de son parcours muséal, inauguré le 21 avril. Cependant ce ne sont pas deux institutions qui se partagent le bâtiment du XVIIIe siècle, mais une seule et même entité : « Ici, vous êtes déjà dans une salle de musée ! », précise Serge Andrieu, maire de la ville, dans la salle multimédia de la bibliothèque. Au-dessus des postes d’ordinateurs sur lesquels quelques jeunes jouent à Minecraft, des toiles XIXe issues des collections du musée sont fermement accrochées au mur depuis l’ouverture. « Ils ont ces tableaux sous le nez toute la journée », se félicite l’édile, qui espère ainsi acculturer son jeune public aux beaux-arts.

Au beau milieu des rayonnages ou sur les banques de prêt sont parsemées des œuvres, petites ou grandes, dans cette bibliothèque unique en son genre. Pour parvenir à ce résultat, il a fallu mettre d’accord deux services du ministère de la Culture, celui du Livre et de la Lecture et celui des Musées de France. Quatre années ont été nécessaires pour monter cette opération et surmonter les réticences des uns et des autres : la présence d’œuvres dans une salle de lecture publique ne rend-elle pas cette dernière intimidante, au détriment des objectifs de la lecture pour tous ? La présentation des œuvres dans cette bibliothèque ne fait-elle pas courir un risque pour leur conservation ? L’argument historique du legs de dom Malachie d’Inguimbert, réunissant musée et bibliothèque, permet finalement de convaincre le ministère. L’originalité de ce programme carpentrassien, au projet scientifique culturel commun, est d’ailleurs à l’origine de l’introduction d’un PCSES (projet culturel, scientifique, éducatif et social) dans le champ des bibliothèques.

Avec l’ouverture du grand parcours muséal, la Ville espère désormais que le jeune public assidu de la bibliothèque ira « se perdre » dans les salles patrimoniales. L’invitation à cette porosité est également inscrite dans le programme de la BNF-site Richelieu, avec sa grande salle ovale réhabilitée comme une salle de lecture grand public ; celui de La Contemporaine de Nanterre, dont la salle de lecture mêle chercheurs et étudiants ; ou dans la bibliothèque des Dominicains de Colmar. « À Nanterre, nous avons différents types de publics, sans conflits d’usages, explique ainsi le directeur de La Contemporaine, Xavier Séné. Certains ne viennent que pour le lieu, profiter des espaces extérieurs. Il y a le public étudiant, notre public historique de chercheurs, et le grand public. Mais on constate que ces différents publics ne sont pas forcément “poreux”. Les étudiants viennent peu au musée par exemple, il faudrait les attirer via leurs professeurs, et qu’une visite puisse valider leur diplôme. » Convertir un public de bibliothèque en visiteurs de musée ne va donc pas encore tout à fait de soi, même si l’un et l’autre fréquentent le même endroit.