Les chantiers de rénovation et d’agrandissement des musées se poursuivent, au risque de l’uniformisation d’institutions interchangeables…
Il fut un temps, pas si lointain, où le musée avait pour seule fonction de célébrer la beauté. Pour remplir cette noble tâche, la France se couvrit au XIXe siècle d’un blanc manteau de palais possédant tous les codes de l’exaltation. Ces temples, auxquels on accédait en gravissant un escalier solennel, présentaient leurs trésors à touche-touche dans d’immenses galeries. Ces lieux déclamatoires se sont ensuite attiré toutes les critiques : obsolètes, érudits et poussiéreux, ils ne séduisaient plus le visiteur. Pour y remédier, les autorités impulsèrent dans les années 1980 une déferlante de chantiers de modernisation et de construction de nouveaux musées.
Cette onde de choc se poursuit encore aujourd’hui, sous l’impulsion également de la « loi musée » de 2002. Ce texte, qui a instauré le label Musée de France, comprend en effet des obligations nouvelles, dont des exigences techniques et conceptuelles qui conditionnent la physionomie des établissements. En l’espace de quelques décennies, la grande diversification des missions du musée – le reniement de son identité, persiflent certains – a entraîné une inéluctable transformation de son enveloppe. L’un des principaux enjeux du musée de demain est, on le sait, d’être accessible au plus grand nombre. « Beaucoup de musées conçus au XIXe siècle ou au début du XXe ne prévoyaient que la délectation des œuvres par une élite, sans penser à l’accueil du grand public, à son confort, à ses attentes et aux actions de médiation dont il a besoin », rappelle l’ouvrage L’Art de concevoir et gérer un musée. « La programmation architecturale d’un nouveau bâtiment doit intégrer aujourd’hui les différentes formes et interventions pédagogiques organisées en direction des diverses catégories de visiteurs. »
De fait, la démocratisation du musée se traduit souvent par sa désacralisation. Tous les efforts sont faits pour rendre ce lieu intimidant plus accueillant : à Nantes on supprime le portail pour intégrer le bâtiment dans son environnement urbain, à Dijon on crée une nouvelle entrée plus conviviale, tandis qu’un peu partout on imagine des espaces de détente et des jardins. Aux quatre coins de l’Hexagone, les sites se dotent également de services enrichis qui concourent à créer la fameuse « expérience de visite ». Le musée nouvelle génération doit ainsi non seulement offrir une collection, présentée de manière spectaculaire et didactique, mais aussi des salles d’expositions temporaires, des ateliers pédagogiques, un café, une offre multimédia, un auditorium, sans oublier une librairie-boutique et sa foule de produits dérivés.
Or, pour caser cette offre pléthorique, il faut générer de l’espace, d’où le raz-de-marée actuel de chantiers d’extension. À l’exception de quelques gestes architecturaux personnels, force est de constater que ces projets se ressemblent de plus en plus. Rien de vraiment surprenant à cela d’ailleurs, car les architectes spécialisés et les muséographes ne sont pas légion. D’où la récurrence des mêmes partis pris et des mêmes ingrédients : du verre, du béton ou encore du bois clair ad nauseam, la tendance la plus courante étant d’accoler une boîte moderne à un édifice ancien en jouant au maximum la carte de la sobriété et de la transparence.
Ces boîtes, esthétiquement très proches, proposent en outre des aménagements similaires, pour ne pas dire interchangeables. Et, lorsqu’on a la chance de visiter beaucoup de musées, impossible de ne pas éprouver une sérieuse impression de déjà-vu. Un peu comme dans une chaîne hôtelière, on retrouve sans difficulté des services identiques organisés de manière analogue. De Paris à Londres en passant par Colmar et Valence, le visiteur rencontre ainsi peu ou prou des agencements stéréotypés. « Je pense qu’il y a actuellement un grand risque d’uniformisation », avance Agnès Callu, auteure notamment d’Autopsie du musée. Études de cas (1880-2010). « Beaucoup de musées sont comme recouverts d’une “cosmétique” identique : même architecture intérieure et extérieure, ils donnent alors le sentiment aux visiteurs d’arpenter un “mall” [un centre commercial, ndlr] où, de fait, le capital symbolique autant que la fonction socioculturelle de la collection sont arasés. »
Toutefois, l’homogénéisation actuelle ne réside pas uniquement dans les orientations des maîtres d’œuvre mais aussi dans la normalisation de contraintes techniques. En effet, la législation impose des normes drastiques de conservation préventive qui ont un impact considérable sur l’allure des musées. Car pour contrôler l’hygrométrie, la qualité de l’air et la luminosité, il faut équiper les salles de grands caissons. Ces coffrages, froids, lisses et stéréotypés contribuent à l’uniformisation des ambiances. Malgré ces contraintes, la globalisation du goût est tributaire de phénomènes de mode.
Compte tenu de la personnalité de chacune des collections, la logique voudrait que l’on invente des modèles sur mesure pour chaque lieu. Or c’est clairement l’inverse qui se généralise, on opte massivement pour des modèles rassurants qui ont fait leurs preuves et qui plaisent. Quitte à perdre sa singularité et son charme. L’une des tendances de fond est, par exemple, l’accrochage spectaculaire jouant sur des atmosphères lumineuses théâtrales, mais aussi l’utilisation de vitrines monumentales, de mobilier sobre et massif et de couleurs discrètes, conférant à l’ensemble un caractère un peu virtuel. Tandis que pour l’accrochage des peintures, les cimaises aux couleurs soutenues, mais là encore standardisées, rencontrent un succès planétaire depuis le nouvel Orsay inauguré en 2011.
Rares sont les musées à jouer la carte de l’authenticité. Un peu à contre-courant, le Musée de Picardie à Amiens dévoilera ainsi en 2019 des murs arborant fièrement les couleurs d’origine restituées et des frises du XIXe siècle. Une autre tendance gagne progressivement du terrain : la transversalité. Elle résulte autant d’un effet de mode que d’une évolution de la muséographie et notamment d’un souci pédagogique accru. Encore inédite il y a quelques années, cette pratique qui consiste à mêler des œuvres d’une même époque, mais de supports différents, se répand comme une traînée de poudre depuis l’ouverture du Louvre-Lens. Ce genre, promis à un bel avenir, a déjà essaimé à la Tate Modern, au Rijksmuseum, mais aussi à Dijon et, demain, au Musée de la marine et à Abu Dhabi.
Une pédagogie redoutable
À défaut d’être une grande institution monographique, le musée est en revanche un formidable temple de la sculpture de la Troisième République. Cette orientation s’explique par l’histoire des collections car, bien avant de posséder des créations de Claudel, la Ville conservait une belle collection de sculptures constituée autour de deux artistes majeurs actifs dans la commune : Alfred Boucher et Paul Dubois. Le projet du musée consiste donc autant à valoriser ce fonds précieux, mais longtemps négligé, qu’à raconter l’histoire de l’âge d’or de la sculpture en France, depuis les grands académiques jusqu’à la révolution de Rodin et Claudel. Un positionnement d’autant plus légitime que Camille a passé plusieurs années de sa jeunesse à Nogent et qu’elle y a découvert sa vocation pour la sculpture et fait ses premières armes, sous l’égide de Boucher.Le passionnant circuit mise fort judicieusement sur une médiation très présente composée de dispositifs simples mais réussis, qui ne cèdent pas aux effets de mode ni au numérique à outrance. Les efforts de vulgarisation, notamment sur le volet technique de la sculpture, sont d’une efficacité redoutable. D’entrée de jeu, un espace didactique très complet et accessible à tous permet, par exemple, de comprendre le processus complexe de fabrication d’une statue, à travers la présentation des différentes étapes, du plâtre au bronze ciselé et patiné.
Un écrin aseptisé
Quel dommage, donc, que ce circuit qui affirme fièrement son originalité et son caractère se déploie dans un écrin aussi aseptisé ! Par rapport à l’atmosphère chaleureuse de l’ancien musée, la rupture est totale. Bien sûr, le site nécessitait d’importants travaux d’extension et de mise aux normes, mais il était possible de les réaliser sans gommer à ce point le charme des lieux. À l’exception de quelques éléments de décoration et d’espaces historiques, les aspérités et l’authenticité du site ont été arasées. Sans surprise, la municipalité revendique d’ailleurs un « musée nouvelle génération ». Et, de fait, il cumule toutes les figures imposées du musée contemporain : architecture moderne recourant massivement au verre et aux larges ouvertures, grands coffrages pour dissimuler tous les éléments techniques, vastes volumes sobres, pour ne pas dire aseptisés, recouverts de peinture gris perle, accrochage théâtralisé et aéré, sans oublier un fade petit jardin.
Un accrochage représentatif de la diversité des collections
La visibilité accrue de l’art contemporain est particulièrement frappante. Le majestueux patio est dorénavant réservé à l’installation d’œuvres contemporaines, mais, surtout, une aile spécifique a été construite pour exposer ce fonds, l’un des atouts de l’institution. Depuis la Belle Époque, l’établissement mène en effet une politique constante d’acquisition d’œuvres de son temps et affiche donc très peu de lacunes. Ainsi les œuvres des XXe et XXIe siècles représentent à ce jour 55 % du total de la collection. Or cette tonalité n’était auparavant guère prise en compte dans l’accrochage. C’est désormais le cas, tout comme la forte coloration transatlantique de l’établissement.Deuxième nationalité présente dans les collections, les artistes américains sont maintenant davantage mis à l’honneur. Mais la refonte du parcours ne concerne pas que la création moderne et contemporaine, les départements d’art ancien ayant aussi bénéficié d’une nouvelle présentation. Une muséographie moderne a été conçue de manière à garder l’esprit des immenses salles du palais, typiques de l’architecture 1900, tout en les adaptant aux goûts et aux exigences actuels. Les vastes galeries, conçues à l’origine pour magnifier les grands formats « salonards », ont par exemple été dotées de larges cimaises centrales subdivisant mieux l’espace. Ce mobilier permet de rompre l’effet de monotonie que peut susciter un long parcours linéaire. Il autorise aussi des accrochages transversaux mêlant peinture, sculpture et objets d’art. Ce nouveau circuit plus rythmé valorisera en outre une plus grande diversité de courants et notamment des genres auparavant sous-estimés et qui reviennent en force dans la recherche, à l’instar de la peinture académique.
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L’inéluctable standardisation des musées ?
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°702 du 1 juin 2017, avec le titre suivant : L’inéluctable standardisation des musées ?