Dès le XVe siècle, des lieux de quarantaine sont construits le long des façades maritimes pour former un cordon sanitaire. Leur objectif : lutter contre les épidémies de peste noire puis de choléra et de fièvre jaune venues par bateau.
Le confinement n’est pas une invention récente. La quarantaine apparaît lors des grandes vagues de peste du Moyen Âge lorsque les autorités protègent les populations en créant des lieux spécifiques pour confiner les personnes et leurs biens : les lazarets. Le premier de ces établissements ouvre ses portes en 1423 sur un îlot de la lagune de Venise, le Santa Maria di Nazareth. Et si l’on en croit le spécialiste du patrimoine hospitalier, Pierre-Louis Laget, le nom « lazaret » serait issu de la déformation de Nazareth et non de Lazare, le personnage couvert d’ulcères de la parabole de saint Luc. Construits en priorité dans les grands ports de la Méditerranée dès les XVe et XVIe siècles, leur stratégie est de former une ceinture sanitaire pour bloquer les flux de peste endémique qui viennent du Proche-Orient. Dès leur arrivée à quai, tous les passagers, les équipages et les marchandises sont débarqués des navires suspects, a fortiori ceux contaminés, pour être placés en quarantaine d’observation dans les lazarets.
Marseille et les villes italiennes de Livourne et Naples vont plus loin en assignant les navires dans un port qui leur est spécialement réservé. Malgré ces précautions, la peste se déclare en 1720 à Marseille et fait 120 000 morts en Provence, à cause d’un bateau venant d’Orient dont le propriétaire aurait fait sortir les marchandises avant la fin de la quarantaine.
Jusqu’au XVIIIe siècle toutefois, l’implantation des lazarets ne se limite pas aux ports. C’est le cas de celui de Milan fondé en 1488 ou de Berlin créé en 1710 pour circonscrire la grave épidémie de peste partie d’Ukraine en 1703 et qui se répand en Pologne, puis en Allemagne. À Paris, l’hôpital Saint-Louis lui-même est un authentique lazaret, construit en 1607 par Henri IV pour isoler les malades de la peste.
Marseille bâtit son premier lazaret en 1526, qui sera déplacé en 1663 à l’ouest de la ville, et baptisé lazaret de Saint-Martin d’Arenc. En service pendant près de deux siècles, il reçoit des hôtes illustres comme la duchesse d’Orléans en 1814 ou la future épouse du duc de Berry, Marie Caroline en 1816. Lors de son voyage en Orient en 1850, Gustave Flaubert est contraint à faire plusieurs séjours en lazaret suite à des cas de choléra déclarés à Malte. Dans une lettre à sa cousine Olympe Bonenfant rédigée le 23 juillet 1850 depuis le lazaret de Beyrouth, l’écrivain fulmine en décrivant ses conditions de vie en quarantaine. « Nous sommes claquemurés dans une presqu’île et gardés à vue. L’appartement dans lequel je t’écris n’a ni chaises, ni divans, ni table, ni meubles, ni carreaux aux fenêtres. On fait même petit besoin [sic] par la place des carreaux des dites fenêtres. » Il s’amusait pourtant de la peur des gardiens : « Quand on veut leur faire des peurs atroces, on n’a qu’à les menacer de les embrasser – ils pâlissent –, en résumé […] nous rions beaucoup », écrit-il.
À l’époque, les quarantaines sont loin d’être simples et contraignent le moindre détail du quotidien. Un document de 1836 intitulé Conducteur ou guide du voyageur et du colon de Paris à Alger détaille la manière dont le courrier est désinfecté au vinaigre et passé à la fumigation au lazaret d’Arenc. Mais il semble que c’est le dernier jour de quarantaine qui constitue la pire épreuve. « Le garde, après avoir fermé toutes les portes et fenêtres de la chambre, fait agir de l’acide sulfurique sur un mélange d’acide nitrite et de sel marin. Il se dégage alors une fumée épaisse qui se répand partout, imprégnant le linge et les vêtements, et provoquant une toux intense. Après cinq minutes de fumigation, on est libre de quitter le lazaret. »
Après celui de Marseille, les lazarets se généralisent. Au Havre, la fondation du tout premier lazaret remonte à 1596. C’était alors un fort modeste édifice bâti en planches. À Nantes, la municipalité fait l’acquisition en 1602 d’une propriété en dehors de la ville où, depuis 1569, les pestiférés sont transférés. Un arrêt du parlement de Provence daté du 10 janvier 1622 accorde à la ville de Toulon le droit d’édifier un lazaret pour accueillir les navires en provenance du Levant. Toutefois, c’est la terrible épidémie de fièvre jaune qui frappe Barcelone et la Catalogne en 1821 qui pousse les autorités à implanter de manière systématique ces établissements sanitaires non seulement dans les grands ports méditerranéens, mais aussi dans ceux de la façade atlantique, comme le lazaret Marie-Thérèse à Pauillac ou ceux de Lorient et de Brest établis sur une île. La loi du 1er mai 1822 accorde une enveloppe d’1,5 million de francs au ministère de l’Intérieur pour assurer leur construction.
Ce cordon sanitaire maritime aurait dû encore être renforcé avec la seconde épidémie de fièvre jaune déclarée en 1828 à Gibraltar et celle de choléra-morbus qui touche l’est de l’Europe en 1823. Mais cette période coïncide avec le triomphe au sein de la faculté de médecine de ceux qui nient la contagiosité des maladies infectieuses, les anti-contagionistes. Résultats : le choléra se répand en 1832 à partir de Calais et fait 103 000 morts en France et 100 000 pour la seconde vague de 1849. Il faut attendre une nouvelle épidémie de fièvre jaune à la fin des années 1850 qui atteint la France à Saint-Nazaire en 1861 pour que les autorités poursuivent l’établissement du cordon sanitaire par la création d’un lazaret à l’embouchure de la Loire, celui de Mindin.
Patrimoine. Au fil du temps, certains lazarets sont devenus des hôpitaux comme à Rouen, Nantes ou Toulouse, alors que celui de l’île Trébéron à Brest est un temps reconverti en sanatorium et celui de Sète en colonie de vacances. D’autres se transforment en musées comme le magnifique lazaret Ollandini situé dans le golfe d’Ajaccio construit en 1843 pour héberger marins et passagers lors des épidémies. Il accueille aujourd’hui le Musée Marc Petit et sa collection permanente de plus de trente bronzes. À Marseille, la station sanitaire, héritière des lazarets de la ville, est sauvée de la démolition pour devenir en 2013 un musée d’art moderne, le Musée Regards de Provence. À la Réunion, les lazarets de la Grande Chaloupe sont aujourd’hui un témoignage de l’histoire de l’immigration sur l’île. Les archives témoignent des corvées auxquelles étaient soumis les migrants et indiquent, entre autres, qu’ils avaient droit tous les jours à 800 grammes de riz, 125 grammes de morue ou 250 grammes de grains secs, 15 grammes de sel et 8 grammes de graisse.
Véronique Piéron
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Les lazarets, le confinement aux temps d’avant
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°546 du 22 mai 2020, avec le titre suivant : Les lazarets, le confinement aux temps d’avant