PARIS
Une exposition passionnante explore les conséquences des pandémies sur les sociétés depuis le milieu du XIVe siècle, en écho à la crise du Covid-19.
Paris. Décidée en 2018, l’exposition « Face aux épidémies » ouvre alors que le Covid-19 sévit toujours, et, « logiquement, le Covid a eu une influence sur le choix des documents et sur le parcours », soulignent les trois commissaires de l’exposition des Archives nationale. Ce parcours englobe six siècles et demi d’histoire depuis le milieu du XIVe siècle, « dans une perspective d’histoire sociale et non d’histoire de la médecine », précise Anne Rasmussen, co-commissaire. Peste noire, variole ou sida, c’est « le rôle de l’État dans la durée » qui apparaît en filigrane dans le parcours.
La peste « noire » ouvre le bal macabre pour avoir décimé le Moyen-Orient et l’Europe pendant plusieurs siècles, causant la mort de 40 à 50 % de la population. Un registre paroissial exceptionnel de Givry (Saône-et-Loire) montre l’ampleur des décès au XIVe siècle. Vue comme un fléau « divin », la peste entraîne des réactions extrêmes : au XVIe siècle, les Juifs de Strasbourg ont ainsi été accusés d’empoisonnement et tués dans des émeutes. Dans une scénographie qui joue sur l’obscurité, la reproduction du tableau de Brueghel l’Ancien Le Triomphe de la Mort (1542-1543) distille une ambiance inquiétante, renforcée par les nombreuses et belles Danses macabres du XIVe siècle. Pour contrer l’épidémie, les prières et les fumigations ne suffisaient pas, les rois ont donc ordonné des mesures d’isolement, prémices d’une politique sanitaire.
Au XVIIIe siècle, la médecine progresse avec l’idée d’immuniser les populations contre la variole, malgré une certaine méfiance et des mouvements anti-vaccination. Une caricature anglaise de 1802 dépeint des gens devenus bovins après inoculation du virus de « cowpox » pour les vacciner contre la variole. Vacciner les populations, éloigner les cimetières des villes, fermer les frontières, contrôler les marchandises importées, assainir l’eau : tout un système se met en place, surtout à destination des étrangers et des pauvres. Squelettes et Danses macabres envahissent les pages des journaux pendant les épisodes de choléra, sur fond d’humour noir (Honoré Daumier).
Le XXe siècle s’ouvre sur la terrible épidémie de grippe « espagnole » en 1918-1919. Le typhus, la tuberculose et la syphilis font l’objet de campagnes de prévention, via des affiches placardées dans les rues. Selon les commissaires, « entre 1945 et 1980 il y avait un idéal d’éradication des épidémies, porté par l’optimisme dû à la vaccination ». L’éradication mondiale de la variole en 1980 est une victoire, mais l’apparition du sida met un terme à cette période d’optimisme. Des archives des associations Aides, Act Up et Sidaction montrent comment médecins et militants ont tenté d’alerter la société, avec le soutien des milieux culturels. La particularité du sida est qu’il touche d’abord des hommes jeunes, et de nombreux artistes : Hervé Guibert, Cyril Collard, Keith Haring, Robert Mapplethorpe, autant de noms connus pour un décès prématuré. Le parcours s’achève par un superbe retable de Keith Haring en bronze recouvert d’or, exposé en permanence à l’église Saint-Eustache de Paris. Quelques documents datant de février à décembre 2020 accompagnent le visiteur vers la sortie, un rappel qu’il vit lui aussi en période épidémique.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : Aux Archives nationales, six siècles d’épidémies