PALERME / ITALIE
La ville des juges Falcone et Borsellino rend hommage au combat mené par ces héros, martyrs de l’organisation criminelle sicilienne Cosa Nostra.
Palerme, Sicile. Un musée n’est pas simplement un lieu de conservation du patrimoine, il est aussi un lieu d’éducation et de réflexion, rappelle l’Icom (Conseil international des musées). C’est à cette définition que souhaite se conformer le musée dédié aux juges antimafia Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, assassinés à quelques mois d’écart il y a tout juste trente ans par Cosa Nostra, la Mafia sicilienne. Leur mémoire reste vive en Italie où la date des attentats qui leur en a coûté la vie est chaque année commémorée pour entretenir le souvenir de la lutte contre le crime organisé.
Ce sera particulièrement le cas le 23 mai, jour de la disparition de Giovanni Falcone en 1992. C’est la date choisie cette année pour inaugurer le premier pôle muséal européen consacré au combat contre les mafias. Il prend place dans le palais néoclassique Jung, en plein cœur de la capitale sicilienne et à quelques mètres des lieux où virent le jour les deux juges. « Ce ne sera pas seulement un musée de la mémoire, mais un espace fluide de rencontre et de réflexion pour un nouveau pacte générationnel en faveur de la légalité, explique le maire de Palerme, Roberto Lagalla. Nous avons imaginé ce lieu comme un observatoire privilégié pour raconter les histoires et le sacrifice de ceux qui ont combattu le crime organisé et témoigner de la réaction culturelle et de l’engagement civil de ceux qui ont suivi le courageux exemple de ces héros. Les étudiants et les jeunes seront les protagonistes actifs de ce que nous espérons devenir un musée interactif, narratif et itinérant. »
Le pôle muséal est réparti sur trois sites. Le premier, et le plus important, à Palerme, réunit photographies et films mais aussi objets qui retracent la vie et l’engagement professionnel de Giovanni Falcone et Paolo Borsellino. Des sons et des odeurs permettront d’enrichir ce récit de la lutte contre la mafia. Un parcours sera également proposé au public prochainement à Rome, dans un appartement situé près du Vatican qui fut occupé par des organisations mafieuses avant d’être saisi. À Bolzano enfin, dans le nord de la Péninsule, un espace de coworking sera mis au service de la société civile et d’artistes engagés dans la défense de l’environnement qui dénoncent les agissements des organisations criminelles. « Nous voulons ainsi lancer un nouveau pacte culturel pour la légalité, précise Maria Falcone, présidente de la fondation qui porte le nom de son frère. C’est un projet communautaire, un véritable laboratoire où acteurs publics et privés, institutions et entreprises pourront dialoguer en mettant au point un langage innovant grâce à l’art, au design, à la photographie artistique. Notre but est de promouvoir la mémoire des martyrs des mafias, mais aussi l’engagement de tous afin de réagir à leur chantage criminel. »
Un chantage qui s’étend du nord au sud de la Péninsule. L’Italie est un « pays-musée ». Les différentes mafias, obsédées par le contrôle du territoire et l’appât du gain, ne pouvaient que convoiter son immense patrimoine. Au triste palmarès des trafics internationaux, le commerce illégal d’œuvres d’art arrive troisième, après celui de la drogue et celui des armes. « Aujourd’hui l’art est le principal canal de recyclage de l’argent sale, commente Roberto Saviano, spécialiste de la Camorra napolitaine. Parce qu’une toile du Caravage laisse moins de traces qu’une montagne d’argent, on peut la déplacer facilement et c’est un investissement relativement sûr. » C’est ce que démontre à chaque arrestation de boss mafieux la découverte des nombreuses toiles de maîtres ou d’objets archéologiques pillés encombrant leurs résidences. Matteo Messina Denaro, l’ancien numéro un de Cosa Nostra récemment arrêté, passait pour être un fin connaisseur. Il aurait ainsi choisi sur des manuels d’histoire de l’art les endroits où placer les bombes, lors des attentats mafieux de 1992-1993, visant notamment le Pavillon d’art contemporain de Milan ou la Galerie des Offices à Florence. Rappelons aussi que la toile La Nativité avec saint François et saint Laurent, peinte en 1609 par le Caravage, a été dérobée en 1969 par la Mafia sicilienne et reste introuvable.
Mais le trafic de biens archéologiques reste le plus fructueux. Un néologisme a même été créé : l’« archéomafia », qui génère un chiffre d’affaires annuel de plus de 64 milliards de dollars dans le monde selon le Global Art Market Report publié par Art Basel/UBS. Les mafieux se sont ainsi rendus coupables d’un véritable sac du sous-sol italien en exhumant et vendant illégalement depuis le début des années 1970 plus d’un million et demi d’objets. Giovanni Falcone aimait à répéter à ses hommes : « Suis l’argent et tu trouveras la Mafia ! » Elle s’est infiltrée aussi dans les grands musées et les galeries internationales. « Nos musées ne seront pas uniquement un mémorial, ajoute Maria Falcone, mais la juste reconnaissance du courage des villes où ils se trouvent. Elles ont su trouver ces dernières années la force de résister au travers d’un grand engagement social. » Notamment ceux des artistes, que ce soient la photographe Letizia Battaglia, disparue l’an dernier, ou l’art de rue avec les fresques murales à Palerme de Rosk & Loste.
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Le premier musée de la lutte contre les mafias bientôt inauguré à Palerme
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°611 du 12 mai 2023, avec le titre suivant : Le premier musée de la lutte contre les mafias bientôt inauguré à Palerme