Le commandant des carabiniers explique comment, grâce au recensement d’ampleur dont dispose cette unité de police spécialisée, près de 3 millions d’œuvres et d’objets volés ont pu être retrouvés depuis 1969.
Roberto Riccardi dirige depuis septembre 2019 le Comando Carabinieri per la Tutela del Patrimonio Culturale (TPC, Commandement des carabiniers pour la protection du patrimoine culturel), une unité de la gendarmerie italienne chargée de la répression du trafic d’œuvres d’art.
L’Italie a été le premier pays à instituer en 1969 une telle unité dévolue à la préservation du patrimoine culturel et à la lutte contre le trafic d’œuvres d’art. En effet, avec 90 000 églises, 40 000 châteaux et monuments, près de 4 000 musées et 240 sites archéologiques regorgeant de trésors artistiques, notre pays suscite l’admiration mais aussi la convoitise. L’année de la création du TPC, il y a un peu plus de cinquante ans désormais, est celle d’un vol retentissant qui a montré la nécessité de créer une unité de police spécialisée. Cosa Nostra [du nom de la mafia sicilienne] a dérobé dans une église de Palerme une toile peinte en 1609 par le Caravage. Nous sommes toujours à sa recherche.
Ce qui fait la force de mes 300 hommes, la plupart archéologues et historiens de l’art, répartis dans les quinze centres opérationnels disséminés sur l’ensemble de la Péninsule, c’est notre banque de données. Elle a été baptisée « Leonardo » et constitue la plus vaste banque de données au monde avec plus de 1,3 million d’œuvres d’art et de vestiges archéologiques recensés. Les fichiers d’Interpol n’en répertorient que 50 000. En l’espace d’un demi-siècle, le TPC a pu retrouver et restituer environ 3 millions œuvres et objets à leurs propriétaires légitimes.
En 2019 nous avons récupéré 902 804 biens culturels et œuvres d’art. Dans leur ensemble, les vols ont diminué en Italie de 27 % sur un an, mais de plus de 35 % dans les églises et de plus de 33 % dans les musées. Ces bons résultats ont été rendus possibles par le renforcement des mesures de sécurité. Nous avons en particulier sensibilisé la conférence épiscopale italienne sur ce thème ainsi que le Vatican pour mieux cataloguer les œuvres des sites religieux. Trop souvent aucun inventaire n’a été constitué, ce qui gênait notre travail. 40 % des œuvres dérobées finissent sur le marché américain, 20 % en Chine, puis viennent le Royaume-Uni et de plus en plus les pays de l’Est. J’en veux pour preuve le cambriolage rocambolesque de dix-sept tableaux de maître en novembre 2015 au Musée [de Castelvecchio] de Vérone. Ils ont été retrouvés en Ukraine.
Oui, et nous avons mis sous séquestre près de 1 100 contrefaçons parmi lesquels des « faux » De Chirico, Warhol ou encore Michelangelo Pistoletto. Cela aurait représenté un gain de presque 200 millions d’euros si ces toiles avaient été mises sur le marché par les organisations mafieuses. Internet et l’e-commerce ont donné de nouvelles opportunités aux trafiquants, mais ces outils nous fournissent des moyens plus efficaces pour entraver leurs activités criminelles. Nous sommes très attentifs aux catalogues des maisons de ventes ainsi qu’aux sites des antiquaires.
Le trafic d’œuvres d’art ne connaît pas de frontières. Notre travail pour les retrouver, les restituer à leurs propriétaires ou simplement les protéger non plus. En Irak, par exemple, nous sommes opérationnels depuis 2003. À la faveur du chaos qui a suivi la dernière intervention américaine, 15 000 pièces archéologiques ont été dérobées. De 2003 à 2006, nous avons aidé les archéologues irakiens à établir une carte des sites de leur pays et à reconstituer les collections du Musée archéologique de Bagdad. Plus de 7 000 objets ont été retrouvés.
Oui, comme au Népal. Après le séisme de 2015, nous avons monté un laboratoire pour récupérer et restaurer des fresques et des œuvres d’art détruites, tout en formant le personnel chargé de prendre notre relève. Une activité similaire a été menée au Mexique et en Albanie à la suite des séismes de 2017 et 2020. Nous disposons d’une grande expérience en raison des tremblements de terre qui ravagent régulièrement certaines régions italiennes. Nous menons également des missions de formation, pour des collègues œuvrant dans les Balkans, en Équateur mais aussi au Moyen-Orient dans le cadre de programmes de l’Unesco.
Nous avons retrouvé en Italie un portrait de Lorenzo Lotto disparu en 1976 à Florence et une Madone du Pinturicchio volée à Pérouse en 1990. Nous avons réussi à rapatrier un bas-relief des Della Robbia qui se trouvait au Canada, mais surtout le Vase de fleurs du peintre néerlandais du XVIIIe siècle Jan Van Huysum. La toile avait été volée par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et l’Allemagne a fini par la restituer au musée des Offices de Florence à l’issue d’un grand travail de diplomatie culturelle. Je ne désespère pas de voir un jour revenir le bronze de Lysippe, qui se trouve à Los Angeles, mais aussi des œuvres italiennes de la Renaissance encore à Belgrade.
Les restitutions ne sont pas à sens unique. L’an dernier nous avons ainsi restitué près de 600 ex-voto mexicains qui étaient en Italie ou encore près de 800 reliques culturelles chinoises que nous avions retrouvées sur le marché des ventes aux enchères de reliques en 2007. Dix ans après, à l’issue d’un procès, elles ont repris le chemin de Pékin.
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Le gendarme italien du patrimoine au rapport
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°549 du 3 juillet 2020, avec le titre suivant : Général Roberto Riccardi, commandant des carabiniers pour la protection du patrimoine culturel : « Notre force, c’est notre banque de données »