Organisée par le Jeu de paume au château de Tours, la rétrospective de la photographe réputée pour son travail sur la mafia sicilienne manque en partie de contextualisation.
Tours (Indre-et-Loire). La rétrospective Letizia Battaglia (1935-2022) présentée au château de Tours par le Jeu de paume remporte un vif succès auprès du public, dû sans nul doute à la témérité avec laquelle la photographe italienne documente et dénonce la violence de la mafia sicilienne dans les années 1970-1980, et à la puissance narrative de ses images. Ses photographies d’homme assassiné à bord d’une voiture, en pleine rue ou dans un appartement, de femmes en pleurs, de juges avec leurs escortes, de funérailles, d’arrestations ou de procès, sont au cœur des expositions qui lui sont régilèrement consacrées, au même titre que ses images d’enfants et de femmes vivant à Palerme dans le plus grand dénuement. On les retrouve dans cette rétrospective conçue par Walter Guadagnini, directeur artistique de Camera, Centro italiano per la fotografia à Turin. Mais elles ne constituent qu’un tiers environ de l’exposition construite à partir de 200 photographies, qu’il a sélectionnées dans l’Archivio Letizia Battaglia, l’association fondée en 2021 à Palerme par la photographe et ses petits-enfants Matteo et Marta Sollima pour conserver, étudier et diffuser son œuvre.
La chronologie prévaut dans l’accrochage et se développe sur deux niveaux, en neuf salles, des débuts de la photojournaliste à l’âge de 35 ans à Milan, suivis de son retour à Palerme, sa ville natale, jusqu’à son retrait progressif du reportage, à la fin des années 1980, pour se consacrer à des activités politiques et culturelles. Letizia Battaglia a en effet été adjointe du maire de Palerme avec lequel elle a lutté contre la corruption et le crime organisé, puis députée au Parlement régional de Sicile tout en créant en parallèle une maison d’édition, une revue photo et le Centro internazionale di Fotografia.
Se découvrent ainsi à Tours les premiers reportages à Milan, la place importante des enfants dans son travail, les photographies des voyages qu’elle a entrepris en dehors de l’Italie après que lui a été décerné en 1985 le prestigieux prix W. Eugène Smith, ainsi que les portraits issus de son travail à l’hôpital psychiatrique de Palerme. Dans ce parcours, les photographies réalisées sur la Mafia, la misère à Palerme ou la vie quotidienne demeurent les images plus fortes. Mais certains choix du commissaire d’exposition interrogent. On regrettera d’abord l’absence d’un portrait de la photographe. Pour cela, il faut se reporter au catalogue ou au documentaire « Amore Amaro » projeté à mi-parcours, et réalisé en 2012 par Francesco G. Raganato, autrement dit quand Battaglia est âgée de 77 ans. Le contenu des cartels, ensuite, se limite à la légende donnée par la photographe et à la date de la prise de vue, sans préciser, pour la quasi-totalité d’entre elles, si le tirage est d’époque ou non.
Ce manque de repères et d’informations apparaît dès les premiers reportages et travaux photo réalisés à Milan et rassemblés dans la première salle. Et ce malgré le livret de visite disponible à l’entrée de l’exposition, auquel le visiteur ne se reportera pas nécessairement systématiquement. Les portraits de femmes à la poitrine dénudée, réalisés dans la rue ou ailleurs pour ABC, sont ainsi exposés sans préciser que cet hebdomadaire populaire italien se fit le relais des luttes civiques et féministes. Il en est de même pour les portraits de Pasolini à la tribune du Circolo Turati à Milan, présentés sans qu’il soit expliqué que c’est le discours de l’écrivain et cinéaste sur la « Liberté d’expression entre répression et pornographie » qui induit leur présence aux côtés de ces portraits de femmes aux seins nus. Fait aussi défaut l’identité de Pasolini sur les cartels, de même que celle d’autres intellectuels ou artistes représentés dans des portraits. On peut ignorer par exemple que Leonardo Sciascia est un écrivain sicilien majeur de sa génération, précision que l’on ne trouvera pas dans le guide.
Devant les photographies de Dario Fo et de son épouse, la comédienne et militante Franca Rame, au Palazzina Liberty, on s’interroge tout autant. Pour savoir qu’il s’agit de l’écrivain, futur prix Nobel de littérature, il faut se reporter au livret, peu disert sur ce lieu où le couple organisa des pièces de théâtre et des réunions politiques, non plus que sur l’importance de ces rencontres. Cette première salle consacrée aux années milanaises se révèle par ailleurs bien trop courte et sommaire. Car la période, qui aurait pu être développée sur deux salles, a été déterminante dans la vie et le parcours créatif de Letizia Battaglia, en particulier le « rôle essentiel du théâtre dans la construction de son identité », mais aussi « la théâtralité » de ses images comme le rappelle Walter Guadagnini lui-même dans le catalogue. Pour cela, il aurait fallu donner plus de place aux archives, ici limitées aux livres et journaux.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°647 du 17 janvier 2025, avec le titre suivant : Letizia Battaglia, une monographie trop peu détaillée