La Sicile des années sombres

À partir du milieu des années 1970, la photographe documente en noir et blanc, pour le journal L’Ora, la violence des exactions mafieuses dans la capitale sicilienne dont elle est originaire. Pare-brise brisés, corps abandonnés au coin d’une rue ou au pied d’un arbre, ses images enregistrent les assassinats quotidiens commis par la mafia à Palerme. Funérailles, scènes de rues ensanglantées, femmes éplorées, corps à terre, inanimés, elle s’emploie à décrire la violence et l’hécatombe de cette population insulaire. Une population vivant dans des conditions extrêmement rudes. Les habitations sont modestes et vétustes, les femmes reléguées aux tâches domestiques et les enfants travaillent. Une Sicile clivée, très loin de la libération sexuelle qu’elle avait pu photographier au tout début de sa carrière à Milan, où l’agitation culturelle battait son plein autour des figures de Pier Paolo Pasolini et Dario Fo. Dans la Palerme des années 1980, les enfants portent des pistolets et ceux qui tentent de combattre la mafia sont abattus les uns après les autres. Interviewée pour le documentaire présenté dans l’exposition, Battaglia décrit ainsi la période : « C’était la guerre, le sang coulait. » Épuisée, en 1992, elle renonce au photojournalisme pour se consacrer à son engagement féministe et fonde Mezzocielo, un magazine mensuel créé par et pour les femmes. Le prestigieux prix W. Eugène Smith de la photographie humaniste, dont elle est lauréate en 1985, lui offre l’opportunité d’ouvrir son regard aiguisé à d’autres régions du monde. Cette même année, elle part aux États-Unis et réalise une série consacrée à de jeunes Afro-Américains dans les rues de New York. En 1989, elle documente la vie quotidienne à Moscou avant la chute de l’empire soviétique, puis voyage à travers le bassin méditerranéen et en rapporte des images où la nature occupe une place maîtresse.