ROME / ITALIE
Les photographies jugées sexistes de la Sicilienne Letizia Battaglia ont choqué l’opinion publique.
Italie. Une grande photographe qui tombe dans le cliché, cela peut paraître un comble amusant. Cela n’a pas faire rire Letizia Battaglia, objet d’une virulente polémique concernant la dernière campagne de publicité de Lamborghini « With Italy, For Italy » qui montre de jeunes mannequins. Le constructeur automobile souhaitait promouvoir ses voitures de luxe à travers un carnet de voyage de vingt-et-une étapes exaltant également les beautés des paysages de la péninsule. L’étape sicilienne a tout naturellement été confiée à Letizia Battaglia, née à Palerme il y a 85 ans, la « reine » des photographes italiennes dont l’œuvre a fait l’objet d’une grande exposition en 2017 au MAXXI de Rome.
Son travail devait couronner la campagne publicitaire, elle a provoqué son retrait. Il faut remonter aux années Benetton d’Oliviero Toscani pour que des photographies soient à l’origine d’un tel émoi. Sur celles de Letizia Battaglia, des adolescentes à la peau diaphane fixent l’objectif d’un regard languide dans des poses parfois indolentes. À l’arrière, une grosse cylindrée jaune masquant en partie le paysage.
Les réactions sur les réseaux sociaux ont été immédiates. La plupart dénonçaient un jeu sur l’imaginaire sexiste et mafieux. Utiliser des jeunes filles langoureuses pour vendre des voitures de sport a été jugé du plus mauvais goût. Le maire de Palerme n’a pas du tout aimé la publicité et a demandé et obtenu le retrait des clichés rendus publics le 20 novembre, Journée internationale du droit à l’enfance. L’édile a immédiatement adressée une lettre à la photographe lui rappelant sa grande admiration et lui expliquant sa douleur d’avoir dû prendre une telle décision alors qu’il était certain de ses bonnes intentions.
Letizia Battaglia est, en effet, une véritable icône de Palerme et de la lutte anti-mafia, mais aussi du combat féministe. Après avoir appris son métier à Milan où elle se réfugie pour échapper au système patriarcal qui l’oppresse, elle revient dans sa ville natale en 1974. Elle travaille alors pour le journal L’Ora qui s’est illustré pour ses articles et reportages sur la mafia. Letizia Battaglia les signe avec son Pentax K1000 dont elle ne se sépare jamais pour documenter pendant 20 ans la criminalité organisée qui gangrène son île.
Elle photographie aussi sa jeunesse. Son œuvre la plus connue reste d’ailleurs celle en noir et blanc datant de 1980 d’une adolescente rencontrée dans la rue. Un ballon dans une main, l’autre jetée au-dessus de sa tête, enserrant un billet de banque. Elle lance un regard de défi encadré par des sourcils courroucés et de profonds cernes. Un regard bien différent de celui des enfants photographiées 40 ans après devant des voitures de sport.
« Je suis profondément déçue par toutes ces réactions », commente Letizia Battaglia en annonçant sa démission de la direction du Centre international de photographie qu’elle a ouvert en 2017 dans sa ville. « Je photographie depuis toujours des enfants. Palerme reste pour moi une enfant avec un regard innocent qui rêve d’un monde sincère et respectueux. Je ne suis pas une photographe publicitaire. J’ai reçu cette proposition de Lamborghini et j’ai accepté en choisissant ces splendides petites filles de 7 à 11 ans. Les voitures sont toujours à l’arrière-plan du sujet principal et souvent floues. À la limite, j’aurais dû être critiquée par Lamborghini qui a accepté les photographies avec bienveillance. » Le constructeur automobile aurait surtout dû comprendre que les temps, mais surtout les sensibilités, ont changé. Il fait pourtant partie du groupe Audi qui a dû l’été dernier retirer une publicité montrant une petite fille appuyée à l’avant d’une voiture pendant qu’elle mange une banane. Une photographie « sexuellement suggestive », « étrange » et « effrayante » ont été les commentaires les plus courants obligeant Audi à reconnaître une « erreur » et à « s’excuser sincèrement pour cette image insensible ».
En ayant recours à Letizia Battaglia, Lamborghini a complètement raté l’opération artistique de sa campagne publicitaire. Mais elle aura réussi ce qui lui importe le plus, l’aspect marketing, en se référant au précepte selon lequel « Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en ».
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Polémique sur la campagne publicitaire de Lamborghini
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°558 du 8 janvier 2021, avec le titre suivant : Polémique sur la campagne publicitaire de Lamborghini