PARIS
Le musée a ouvert, dans l’ancien réfectoire Vauban, un espace consacré à l’histoire des lieux fondés par Louis XIV. Un défi technique relevé entre ses éléments de décor et la scénographie.
Paris. Dans le parcours du Musée de l’Armée, une question restait encore sans réponse claire : mais où sommes-nous exactement ? Avec l’ouverture de la première phase de son grand projet « Minerve », le musée dispose enfin d’un espace consacré aux Invalides et à leur histoire. Dans l’ancien réfectoire Vauban, les travaux ont permis d’aménager un parcours de présentation de l’hôpital militaire fondé par Louis XIV, dans lequel le musée s’est installé depuis la fin du XIXe siècle.
L’espace choisi pour développer ce parcours a exigé une prouesse technique pour y loger les scénographies et les œuvres. Le réfectoire a conservé sur ses murs un grand cycle peint, représentant les victoires militaires du Roi-Soleil, qu’il était impossible de masquer. Les peintures commandées par Louvois, ministre de Louis XIV, pour lequel il fonde les Invalides, sont à la fois un écrin exceptionnel, et une contrainte de taille pour ce parcours didactique.
Toute la scénographie doit se déployer au cœur de ce long volume rectangulaire, en ménageant une bonne distance avec les peintures murales du XVIIe siècle. L’ensemble des réseaux techniques sont logés sous une grande dalle centrale sur laquelle sont posées les œuvres. Un système de poulies ancrées dans une poutre métallique – évoquant plus le théâtre que la scénographie de musée – permet de faire flotter ces trésors, parfois de très grands formats, entre le sol et le plafond.
Aérienne et élégante, cette solution conçue par le groupement Antoine Dufour Architectes et les scénographes Helft & Pinta accouche d’un parcours dense, remontant le fil chronologique de l’histoire des Invalides. Pour ouvrir cette séquence, une pièce majeure accueille les visiteurs : le plan-relief de l’hôtel des Invalides, jusqu’ici endormi en réserve. Une entrée en matière évidente, pour Sylvie Leluc, directrice de la conservation du musée : « C’est la seule maquette d’un édifice qui est sortie des ateliers des plans-reliefs, souligne la conservatrice. Ce chef-d’œuvre permet d’aborder un site à la fois très connu, et mal connu. »
La silhouette du dôme des Invalides est certes familière, mais son histoire reste, elle, confinée derrière les fossés de cette ville dans la ville. Fondé en 1670 par Louis XIV pour améliorer le sort des soldats invalides, le site est pourtant un acteur de chaque grande séquence de l’histoire de France, de la Révolution française à l’occupation allemande. À l’issue du parcours du réfectoire, une salle immersive propose un film d’animation très réussi retraçant chacune de ces grandes séquences.
Pour raconter cette histoire complexe, le Musée de l’Armée a opéré un vrai repositionnement : devenir « un musée de site » est l’un des axes forts du projet « Minerve ». Cette direction est notamment caractérisée par une politique d’acquisition dirigée vers des œuvres et objets liés au destin des Invalides. Dans l’ancien réfectoire, les résultats de ces efforts sont exposés, à l’image d’une grande « table des buveurs d’eau », autour de laquelle s’asseyaient les pensionnaires punis et privés de leur quart de vin quotidien. D’autres acquisitions racontent une histoire moins martiale des lieux, comme celle d’un baromètre, appartenant au boulanger des Invalides.
La sélection mêle intelligemment ces objets, supports d’un récit de la vie quotidienne au sein de l’hospice, à de grandes œuvres : le Modello de Charles de la Fosse (1636-1716) pour le décor du dôme des Invalides, ou bien une grande peinture d’histoire de Pierre Dulin (1669-1748) retraçant l’établissement des Invalides par Louis XIV. « Nos visiteurs étaient un peu perdus. Il fallait d’entrée rappeler le rôle de Louis XIV dans la fondation du site », explique Sylvie Leluc devant ce grand format, qui représente, en même temps, le roi fondant l’hospice et l’hôtel des Invalides en arrière-plan.
D’autres œuvres rappellent des moments précis et dramatiques de l’histoire du site. La vitrine reliquaire des souvenirs de Napoléon Ier ravive ainsi le souvenir du Retour des cendres de l’empereur, organisé en 1840, par la Restauration. Le bicorne, le sabre et le grand collier de la légion d’honneur trônent à nouveau dans cet écrin ostentatoire, imperceptiblement adapté aux normes de conservations actuelles. Moins loquaces, quelques piques de drapeaux calcinées racontent un épisode dramatique des Invalides : celui de l’autodafé des bannières capturées aux ennemis, présentées dans l’église Saint-Louis-des-Invalides depuis 1793, alors que l’armée prussienne approche de Paris en 1814. Le gouverneur de l’hôtel ordonne leur destruction pour que ces prises de guerre ne finissent pas dans les mains de l’ennemi.
Chacune des pièces présentées ici est le chapitre d’une histoire longue et méconnue. Le parti pris scénographique de présenter les cartels et explications au revers de ce parcours est, dans ce contexte, difficilement compréhensible. Pour ménager une expérience de « contemplation », tous les textes sont placés à l’arrière des œuvres, découplant les informations et les objets. Dans un parcours aux visées purement esthétiques, ce décalage ferait son effet ; mais dans une salle dont l’objectif est celui d’un centre d’interprétation, il crée une confusion néfaste à la compréhension du propos général. En préférant l’esthétique au didactique, le musée risque de voir ses visiteurs traverser le réfectoire en courant d’air, alors que cette nouvelle salle devrait être la matrice du reste de la visite.
Minerve, un projet sur les bons rails
Avec la livraison de cette première phase, le Musée de l’Armée est dans les clous du calendrier du projet « Minerve » : « Un chantier mené sans retard, et dans l’épure du budget alloué », souligne le général Henry de Medlege, directeur du musée. Pour 15 millions d’euros, la première partie du plan est exécutée pour sa partie muséale, les nouveaux espaces d’accueil – sous forme de construction légère rappelant les bivouacs militaires – arriveront bientôt. La cour d’honneur est d’ores et déjà ponctuée d’un nouveau mobilier conçu par la designer Cécile Barani, lui aussi inspiré du vocabulaire militaire.
La seconde phase du chantier de transformation est plus ambitieuse, avec l’ouverture de trois nouveaux parcours : « Forces armées et engagement militaire de la France », pour 2029 ; « Après 1945 : de la Guerre froide à nos jours » et « Colonisation, décolonisation : une histoire en partage », pour 2030. Pour concevoir ces trois espaces, équivalents à un nouveau musée, le budget reste suspendu à la prochaine loi de programmation militaire.
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Le Musée de l’Armée raconte enfin les Invalides
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°638 du 6 septembre 2024, avec le titre suivant : Le Musée de l’Armée raconte enfin les Invalides