Château

La renaissance de Villers-Cotterêts

Macron réinvente Villers-Cotterêts

Le grand chantier de la Cité internationale de la langue française a permis de révéler un joyau patrimonial de la Renaissance, et de mieux connaître son histoire médiévale grâce à l’archéologie.

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 30 octobre 2023 - 998 mots

VILLERS-COTTERÊTS

Emmanuel Macron inaugure aujourd’hui la Cité de la langue française à Villers-Cotterêts après un chantier pharaonique.

Villers-Cotterêts (Aisne). « À Villers-Cotterêts, le patrimoine n’est pas seulement conservé, il est réinventé » : c’est en ces termes que Paul Rondin, directeur de la Cité internationale de la langue française, présente le grand chantier patrimonial permettant aujourd’hui de donner un second souffle à l’un des châteaux de François-Ier. « Réinventé », car dans les murs de cet édifice Renaissance, tout restait à faire, et beaucoup de choses étaient possibles. Les diverses occupations des lieux ont largement remanié la distribution des pièces, détruit les décors originaux, faisant de l’intérieur une véritable page blanche pour le programme de la Cité dévolue à la langue française : l’espace d’exposition temporaire comme l’auditorium tirent bien parti de ces vastes intérieurs dénudés.

Cette réinvention a nécessité un investissement de 211 millions d’euros, pour un chantier mené rapidement, en l’espace de trois ans seulement. Associé à l’agence Projectiles, l’architecte en chef des Monuments historiques Olivier Weets a fait le choix de fixer un état de référence pour le traitement extérieur du château (en l’occurrence le XVIIIe siècle, lorsque la famille d’Orléans remanie en partie les décors de la façade), tout en admettant que l’intérieur pouvait être largement adapté au copieux programme de la Cité internationale, tant les traces de l’histoire royale étaient ténues.

Une chapelle, deux escaliers : voilà ce qu’il reste à Villers-Cotterêts des éléments Renaissance qui ornaient le château construit par François Ier de 1532 à 1540. Trois éléments particulièrement mis en valeur dans la restauration des lieux. La chapelle ferme ainsi le parcours de visite permanent de la Cité, mais elle est laissée délibérément vide afin de donner la possibilité au visiteur d’apprécier ce chef-d’œuvre du décor italianisant en France. L’escalier du roi ouvre également ce parcours de visite, et le visiteur le gravira probablement le menton en l’air, pour admirer le foisonnement de ce décor de pierre plutôt simple dans son iconographie (des insignes royaux et des têtes feuillues), mais qui fascine par l’animation et la variation des bas-reliefs. Les sujets mythologiques plus complexes de l’escalier de la reine pourront en revanche échapper aux touristes : le parcours ne fait que passer devant la première volée d’escalier, avant de rejoindre la chapelle.

Un édifice classé, déclassé, à nouveau protégé…

Tous abrités dans l’aile sud du logis royal, ces témoignages d’un fastueux décor révèlent l’histoire d’un lieu qui était, il y a encore peu, laissé à l’abandon. L’histoire patrimoniale du château est mouvementée, car si dès 1860 il fait partie des tout premiers édifices gratifiés de la protection monument historique, il est aussi l’un des premiers à être déclassé en 1887. Une mesure de rétorsion due aux destructions opérées par le dépôt de mendicité (un lieu de réclusion pour les mendiants, prostituées…) qui occupe alors le site. Il faut attendre 1997 pour que le château soit à nouveau protégé par la législation patrimoniale, puis vingt années de plus pour que le député de l’Aisne Jacques Krabal trouve enfin une oreille attentive au sort de ce château délabré qu’il tentait de sauver : cette oreille est celle du candidat Emmanuel Macron, pas encore élu mais qui entrevoit déjà son grand chantier présidentiel.

Pour l’histoire, le château n’est pas qu’un relais de chasse et un lieu de loisir destiné à la cour de François Ier : c’est le lieu de la signature, en 1539, de l’ordonnance de Villers-Cotterêts, le texte qui impose l’usage du français dans les actes officiels et décisions de justice. Une profondeur historique que va exploiter pleinement le désormais président Macron, en projettant en ces lieux une cité de la francophonie, devenue depuis « Cité internationale de la langue française ». Aujourd’hui, cette nouvelle affectation s’inscrit en toutes lettres sous la verrière de la cour centrale du logis royal, avec le « Ciel lexical », soient des mots suspendus dans le ciel formant un lexique hétérogène. Une intervention qui fixe élégamment ce nouveau chapitre de l’histoire des lieux.

Un château sous le château

Le chantier patrimonial a également permis de redécouvrir l’histoire médiévale du château, grâce au service archéologique du département de l’Aisne et aux fouilles de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), qui a mis au jour le plan d’un château du XIIIe siècle sur lequel François Ier a bâti le sien. Au cœur du château, les fouilles ont révélé les traces du jeu de paume qui donne son nom à la cour centrale : bien connu par les sources textuelles, ce terrain s’est matérialisé grâce à la découverte des galeries latérales. Ce premier jeu de paume est abandonné au XVIIe siècle, puis remplacé au XVIIIe par celui de la famille d’Orléans, qui construit un corps de bâtiment latéral abritant un nouveau terrain. L’une des très rares additions au plan original de ce château entre cour et forêt, plan resté inchangé.

Si la rénovation a permis de mettre en valeur les témoignages de la Renaissance, et de replonger dans les origines médiévales du château, les XIXe et XXe siècles, avec la transformation des lieux en dépôt de mendicité puis en maison de retraite de la Préfecture de Paris en 1888 (jusqu’en 2014), semblent avoir été effacés. Si ce n’est à l’entrée des lieux, où l’inscription « Maison de retraite du département de la Seine » accueille les visiteurs de la Cité. Ce pan de la vie du château est pourtant important, pour l’histoire locale (la maison de retraite était l’un des premiers employeurs de la ville), comme pour l’histoire de l’action sociale de l’État en France. « C’est extraordinaire de penser qu’un lieu construit par les rois de France a accueilli les vieux pauvres parisiens pendant plus d’un siècle ! », souligne Mathilde Rossigneux-Méheust, historienne travaillant sur les archives de la maison de retraite, et qui souhaiterait voir cette histoire s’inscrire davantage dans le programme de la Cité. Les riches archives, ainsi que quelques objets conservés par le Centre des monuments nationaux, permettent aujourd’hui d’engager cette discussion sur le morceau le moins visible, mais le plus récent de la tumultueuse histoire du château.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°619 du 20 octobre 2023, avec le titre suivant : La renaissance de Villers-Cotterêts

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