VILLERS-COTTERÊTS
Voulue par Emmanuel Macron et mise en place en un temps record, la Cité internationale de la langue française, installée dans un château considérablement restauré, a été inaugurée il y a un an. Le nombre de visiteurs dépasse les estimations. La ville qui l’environne commence à en tirer profit.
Villers-Cotterêts (Aisne) . Dans le train TER qui mène à Villers-Cotterêts, les visiteurs de la Cité internationale de la langue française se repèrent facilement : groupes de lycéens bavards, couples de sexagénaires ou Parisiennes chics parlant littérature contemporaine ne passent pas inaperçus. Le train relie Villers-Cotterêts à Paris Gare du Nord en cinquante minutes, et il est même possible de prendre un billet couplé train et visite de la Cité pour moins de vingt euros. Estimée à environ 200 000 visiteurs à l’ouverture, la fréquentation de la Cité atteint fin octobre 2024 près de 260 000, c’est donc un succès. Si tous les visiteurs ne font pas forcément l’ensemble du parcours ou des expositions de la Cité, c’est le cas de la majorité : Marie Lavandier, présidente du Centre des monuments nationaux (CMN), précise que « les deux tiers des visiteurs viennent pour l’offre culturelle payante ». Il est en effet possible de traverser le château et le parc gratuitement, et d’accéder également au restaurant, à l’auditorium et à la boutique. La plupart des visiteurs prennent donc le temps de faire le parcours permanent et les expositions temporaires (deux par an), qui constituent le cœur de la Cité internationale de la langue française (CILF).
Ce parcours non historique couvre plus de 1 000 mètres carrés à l’étage du château, dans une scénographie essentiellement numérique : les écrans et dispositifs audiovisuels sont omniprésents alors que les documents écrits sont minoritaires. Les commissaires du parcours permanent (Xavier North et Barbara Cassin) ont, semble-t-il, insisté pour qu’il ne soit pas « tout-numérique » et que l’ordonnance de Villers-Cotterêts (août 1539) y trône en bonne place. De la langue de Molière aux chansons populaires en passant par les emprunts aux autres langues (abricot, totem) et la francophonie, le parcours balaie plusieurs siècles d’histoire dans un esprit « ludique » revendiqué. De nombreux écrans proposent de jouer avec les mots et les langues (synonymes, variantes régionales, exercices de dictée) (voir ill.) et certaines salles font des focus thématiques ou historiques (Molière et le théâtre du XVIIe siècle, le français dans les colonies, les Lumières et le projet de l’Encyclopédie).
Le temps de visite annoncé est d’une heure et demie à deux heures, à condition de regarder toutes les vidéos et de faire tous les jeux sur écran, ce qui ne semble pas le cas des visiteurs adultes. À noter qu’il y a des interférences sonores dans plusieurs salles, lorsque des vidéos se déclenchent en même temps : le directeur de la Cité internationale de la langue française, Paul Rondin, explique qu’une réflexion est en cours sur ce problème. La taille des salles, la nature des plafonds (pierre sculptée) et les contraintes liées au classement Monument historique du site limitent évidemment les aménagements structurels. Malgré une impression d’éparpillement, le parcours donne une vision assez large de l’évolution de la langue française. Comme le signale l’académicienne Barbara Cassin, les commissaires ont travaillé sans exemple car « il n’existait pas de modèle d’un musée consacré à une langue, à part le musée de la langue portugaise à São Paulo, mais nous n’avons pas pu le visiter ».
Côté fréquentation, les chiffres révèlent que le public local représente plus de la moitié des visiteurs selon le Centre des monuments nationaux. Marie Lavandier rappelle que c’était d’ailleurs « un des paris de la Cité » à sa création, à savoir un établissement culturel national et international à ancrage local. Elle ajoute que les scolaires constituent près de 50 % des groupes accueillis, soit six cents groupes en un an. La proportion de scolaires atteint cependant moins de 10 % des visiteurs en nombre (autour de 15 000), ce qui est faible par rapport aux ambitions du site : Marie Lavandier évoque des« difficultés de transport » pour les scolaires du département de l’Aisne, encore largement rural. Car le projet d’Emmanuel Macron pour la Cité était d’en faire un lieu d’apprentissage sur l’histoire de la langue française, dans une optique de « travail sans fin d’unité de la Nation » comme il l’a déclaré, en novembre 2023, à l’ouverture du site. Comme dans tous les projets culturels de ce type, la jeunesse tient une place particulière, ainsi que les enseignants que le président avait cités à plusieurs reprises dans son discours. Marie Lavandier ajoute que la Cité est engagée dans une trajectoire « à long terme » et qu’il y aura des actions entreprises pour favoriser la venue de groupes scolaires. Élargir les publics et faire revenir les visiteurs sont les objectifs affichés par le CMN pour 2025.
Car la Cité et le château qui l’héberge font partie d’un modèle unique d’établissement culturel en France : un monument historique affecté au CMN où siège une structure qui n’est pas un musée. Paul Rondin note d’ailleurs qu’il est « directeur de la Cité et non administrateur » comme ses confrères des autres monuments nationaux. Tous les interlocuteurs, du maire de Villers-Cotterêts aux commissaires du parcours permanent, insistent sur la nécessité de ne pas limiter la Cité à un musée, comme le déclarait Emmanuel Macron à l’inauguration : « C’est une cité et non un musée. » D’où la programmation culturelle avec des concerts et des pièces de théâtre, d’où les résidences d’artistes annoncées par Marie Lavandier. Cette dernière évoque aussi d’autres activités pour faire vivre le site, comme la présence d’un écrivain public et des ateliers linguistiques. Mais en raison des tarifs relativement bas (neuf euros le billet unitaire pour le parcours permanent, douze euros pour la journée), le site doit consolider sa base financière dans un contexte d’austérité budgétaire d’autant que le coût du projet est encore critiqué (dans un rapport de l’été 2024 sur le CMN le Sénat estime le coût total à 227 millions d’euros...). Le CMN annonce un budget annuel de 5,4 millions d’euros pour 2024 et un budget 2025 « stable », ce qui fait dire à Paul Rondin qu’il faut chercher des financements externes : le château accueille déjà des séminaires, mais la capacité hôtelière de la ville est limitée et l’hôtel prévu dans une aile de la cour des Offices (voir ill.) n’a pas encore vu le jour (le choix de l’opérateur est en cours).
Reste le recours au mécénat, mais les mécènes ont peu soutenu le projet de la Cité selon le rapport du Sénat : sur les 25 millions d’euros attendus seuls 2,1 ont été récoltés, et rien ne dit que les mécènes se presseront en 2025. Paul Rondin avoue innover en montant des projets de coproductions avec les opérateurs publics de la culture et de la diplomatie (Institut français), une pratique inhabituelle pour le CMN. L’année 2025 permettra donc de tester la situation de la Cité et du château, face à des inquiétudes de viabilité soulevées par le rapport du Sénat qui s’interroge sur le long terme. Paul Rondin concède qu’il faut « prouver que ce projet peut durer » au-delà de l’engouement initial, et éventuellement servir de modèle à d’autres sites du CMN.
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Villers-Cotterêts, un an après
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°642 du 1 novembre 2024, avec le titre suivant : L’an un de Villers-Cotterêts