Depuis le 30 octobre, la France dispose d’une « Cité » de plus, celle de Villers-Cotterêts, vouée à la langue française.
Monarchie républicaine, ce pays a inventé, on le sait, les « Grands Travaux » présidentiels : la chose sous Georges Pompidou, avec le Centre ouvert sur le plateau Beaubourg ; le nom sous François Mitterrand, avec, même, un secrétariat d’État ad hoc. Sans cette figure improbable, il n’est pas certain que ce cher et vieux pays disposerait aujourd’hui, en effet, du Centre Pompidou, du Grand Louvre ou du Musée d’Orsay, sans parler de l’Institut du monde arabe ou du centre culturel Tjibaou en Nouvelle-Calédonie. Nicolas Sarkozy et François Hollande, pour diverses raisons, y avaient renoncé. Emmanuel Macron l’a reprise à son compte.
Le grand avantage de ces projets est qu’une fois ouverts au public ils sont, en effet, ouverts. La nécessité d’avoir un public digne de ce nom est secondaire. La première qualité de la Cité de Villers-Cotterêts aura donc été d’avoir permis la superbe restauration d’une demeure royale oubliée, nichée au cœur d’une région négligée par un tourisme de patrimoine qui connaît déjà le chemin de Pierrefonds (Oise), mais qui est resté jusqu’à présent indifférent aux charmes du Valois chanté par Gérard de Nerval ou de La Ferté-Milon (Aisne), ville natale de Racine mais pas que. La seconde qualité est plus théorique puisqu’elle tient tout entière dans deux circonstances pleines de sens : Villers-Cotterêts a été la ville natale d’Alexandre Dumas – sans doute l’écrivain français le plus connu à l’étranger – et, plus encore, le château a accueilli, au mois d’août 1539 la signature d’une ordonnance restée fameuse, celle qui ordonne que les registres de baptême et, au-delà, toutes les décisions de justice soient désormais publiées en « langage maternel français ».
On s’est souvent mépris sur la signification profonde de ce texte. Il n’a pas pour adversaires les parlers régionaux mais le latin, langue d’Église, langue élitaire ; en d’autres termes, on a affaire ici à une mesure moderniste – une modernité qui arrange bien la monarchie face à un clergé et à une Sorbonne qui la prennent trop souvent de haut. L’ordonnance ne traite officiellement que du « fait de justice » et ne se justifie qu’en termes d’intelligibilité des textes, qui se doivent d’être « clairs et entendibles ». Pour confirmer – contre, cette fois, les langues régionales – qu’il s’agit, de surcroît, d’imposer la langue française comme langue unique de l’administration, il faudra attendre… Robespierre et le décret du 2 thermidor an II [20 juillet 1794] qui stipule que nul acte public ne pourra être écrit « qu’en langue française ».
Reste le plus urgent, qui n’est évidemment pas le passé François Ier ni même le présent Emmanuel Macron, mais l’avenir de la Cité. Comment attirer les foules au cœur du département de l’Aisne, sur un projet linguistique ? Il y faudra beaucoup d’intelligence et pas mal de ruse. L’intelligence n’est pas niable, à consulter la manière dont a été construit le parcours permanent du lieu, largement fondé sur la technologie la plus moderne. Elle passe aussi par le discours programmatique du président de la République – visiblement très investi –, le 30 octobre, à l’adresse non du mythique « grand public » des tours-opérateurs chinois, mais de tous « les publics » conviés en ces lieux, des enseignants de français aux traducteurs en passant par les bibliothécaires et, bien entendu, les écrivains, entre stages de formation, colloques et résidences. Et c’est là que la ruse est nécessaire, pour accueillir, disons, un public élargi. Elle passera par deux grands instruments : la francophonie et l’événementiel. La Cité aura gagné son pari quand, à longueur d’année, elle aura démontré qu’elle est accueillante envers les francophones des cinq continents – y compris envers les dialectophones romans du territoire, voire, dans leur dialogue avec le français, envers les « langues de France », du corse à l’arabe – et qu’elle est aussi capable d’attirer ici un forum de la chanson, là un festival gastronomique. À Villers-Cotterêts, on peut rêver : c’est un autre nom de l’avenir.
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Une langue, une Cité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°621 du 17 novembre 2023, avec le titre suivant : Une langue, une Cité