VILLERS-COTTERÊTS
La toute nouvelle Cité doit concilier une ambition culturelle et des missions de service public avec une pérennité économique axée sur le tourisme. Car la viabilité du projet dans le temps reste à assurer.
Villers-Cotterêts (Aisne). Que trouve-t-on dans la Cité internationale de la langue française, qui ouvre ses portes au public le 1er novembre ? Ou plutôt, que n’y trouve-t-on pas ? Le programme dense et hétéroclite concocté par le Centre des monuments nationaux (CMN) pour occuper le vaste château Renaissance balance entre une exigence de service public et l’objectif d’une autonomie financière, à l’image de l’hôtel de la Marine, dernière inauguration d’ampleur de l’opérateur public. Rassembler, dans un même lieu, écrivains publics, parcours d’exposition, projet hôtelier…, voilà qui répond à l’ambition de Marie Lavandier, présidente du CMN depuis début mai : « Je suis attachée à ce que les publics se croisent », rappelle-t-elle à quelques jours de l’inauguration.
Se croiser comme dans la rue, les Cotteréziens pourront bientôt le faire au sein de cette friche patrimoniale, désaffectée depuis 2014. Finalement, c’est la première utilité de ce grand chantier présidentiel, en tout cas celle que met en avant Paul Rondin, directeur de la Cité internationale de la langue française : créer une circulation entre le centre-ville de Villers-Cotterêts et la forêt de Retz. « Nous souhaitons que les gens viennent pour ne rien faire, qu’ils s’approprient la Cité », explique-t-il, projetant par exemple d’accueillir la foire locale au sein de la cour des Offices du château. Marie Lavandier considère, elle, que le CMN est ici un « invité » : « Il faut avoir de la modestie, travailler avec les gens », explique celle qui a fait du Louvre-Lens un lieu familier du public des Hauts-de-France.
Formations contre l’illettrisme et l’illectronisme, service d’écrivain public, auditorium à la programmation grand public, et le plus souvent gratuite : on ne peut reprocher à l’offre de la Cité d’oublier le public local. L’image d’un chantier piloté par l’Élysée a toutefois suscité la défiance des habitants de la petite ville de l’Aisne (dirigée par un maire Rassemblement national) envers ce grand équipement protéiforme, que certains Cotteréziens n’ont pas tardé à rebaptiser « Château Macron ». L’été dernier, des réunions publiques tentait de renouer, tardivement, ce lien avec les habitants. Un effort de communication sera certainement nécessaire pour clarifier auprès d’eux l’offre des lieux, combinant service public et lieu culturel.
Car le CMN est venu avec un cadeau pour ses hôtes : un vaste espace d’exposition (1 200 m2) consacré à la langue française, dont la médiation est quasi intégralement numérique. Formant un U autour de la cour du jeu de paume, ce parcours permanent répond à une commande du CMN, que résume ainsi Xavier North, son commissaire : « Créer un moment d’émerveillement et d’apprentissage autour de la langue française dans la diversité de ses expressions. » Peu de comparaisons existent dans le monde pour un musée dont le sujet est une langue – si ce n’est le Musée de la langue brésilienne à São Paulo (Brésil) – et le défi muséographique est de taille pour illustrer ce sujet très peu matériel.
Le recours au multimédia s’impose logiquement pour faire écouter le français (chanté par les grands noms de la chanson française, malmené par des humoristes ou même reconstitué pour entendre la voix de Jeanne d’Arc ou de Toussaint Louverture), mais aussi pour le transformer en un jeu. La plupart des dispositifs numériques requièrent ainsi une manipulation ou action physiques : tourner une manivelle, se positionner dans l’espace… L’intention de ces modules scénographiques parfois monumentaux – occupant la vaste hauteur sous plafond des lieux – est d’engager le corps des visiteurs, lesquels, pour profiter un tant soit peu de la visite, doivent y participer activement.
La proposition parvient à rendre concrètes et presque amusantes les questions d’orthographe, de néologisme ou de circulation des mots : mais est-elle adaptée à une exposition dont les objectifs de fréquentation sont pour le moins ambitieux (200 000 visiteurs par an), au risque d’une file d’attente devant les dispositifs ?
Les objets disséminés par touches sont les bienvenus dans ce parcours très axé sur le numérique, à l’exemple de l’ordonnance de Villers-Cotterêts présentée à la fin. Mentionnons aussi la très élégante salle où trente objets prêtés par les musées français illustrent autant de mots empruntés aux langues étrangères. Ce parcours, qui répond plutôt bien à la commande du CMN, constitue le cœur de la proposition culturelle de la Cité, complétée par une programmation de spectacles et concerts accueillis dans l’auditorium, et des résidences d’artistes.
Malgré ce bouquet d’offres culturelles, le directeur de la Cité et le CMN semblent avoir compris que la langue française seule ne parviendrait pas à attirer les visiteurs dans la petite ville des Hauts-de-France : « L’idée c’est que l’on puisse accueillir sur place. Je veux que les gens passent un ou deux jours ici », indique Paul Rondin.
Transformer la Cité internationale de la langue française en destination de week-end, c’est le grand chantier à venir pour le CMN, qui doit trouver investisseurs et projets susceptibles de prendre place au sein des 17 000 mètres carrés encore vacants du château. Afin de rendre vie aux bâtiments des Offices, qui précèdent le logis royal, l’opérateur public a lancé un appel à manifestation d’intérêt, pour laquelle des propositions hôtelières et commerçantes sont attendues. Le plan de relance a déjà permis de rénover le clos et le couvert de ces bâtiments, mais aucun calendrier n’est fixé pour trouver leur affectation et designer les porteurs de projets. Si le CMN se laisse un temps pour roder son offre culturelle, la viabilité économique de la Cité reposera en grande partie sur les recettes qu’apporteront à l’établissement les activités commerciales installées dans les Offices. Entre-temps, l’opérateur public va récupérer la gestion du parc du château, qui fait le lien entre la Cité et la forêt de Retz : de quoi étoffer la proposition touristique « nature-culture » envisagée par le CMN.
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Cité de la langue française, un modèle à affiner
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°619 du 20 octobre 2023, avec le titre suivant : Cité de la langue française, un modèle à affiner