La tenue à Paris, au début de ce mois de juin, de Révélations, autrement dit la Biennale internationale des Métiers d’art et Création permet de poser à nouveaux frais une question vieille comme les temps modernes – et Dieu sait si les temps modernes sont vieux, de nos jours –, une question dont, au reste, la réponse n’a pas cessé d’évoluer puisqu’elle touche aux deux dimensions qui dessinent les enjeux des métiers d’art : celle de la définition et celle de la hiérarchie.
On sait que la figure de l’artiste ne s’est que très progressivement détachée de celle de l’artisan. Vieux pays d’État, vieux pays catholique, la France a transformé en institution la notion de « Beaux-Arts », si bien enracinée qu’elle n’a fait l’objet d’aucune remise en cause quand, à la fin du XIXe siècle, la culture républicaine s’est définitivement substituée aux diverses modalités de la culture monarchique. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la structure administrative officielle de la République est encore la Direction Générale des Beaux-Arts. Si les choses vont commencer à changer, ce ne sera pas au sein de l’État mais de la société. C’est elle qui, au XVIIIe puis au XIXe siècle, invente les Arts industriels, puis les Arts décoratifs. Mais le plus important demeure : le principe hiérarchique. Les avant-gardes qui, l’une après l’autre, du romantisme à l’abstraction, renouvellent voire bouleversent les formes de l’art légitime ne remettent pas en cause la distinction entre art et artisanat. Le surréalisme lui-même continue, de fait, à « artifier » par le haut, en faisant du Douanier Rousseau ou du Facteur Cheval des « maîtres » d’un genre nouveau.
La notion d’« artisan d’art » va naître, elle, sur un autre terrain : celui de la reconnaissance statutaire. Cette stratégie montre la voie : celle du « tiers-parti », mais la formulation, qui met l’artisanat en premier, ne tranche pas encore dans le vif. La formulation « métier d’art », qui émerge officiellement en 1976, va plus loin, mais ce n’est qu’en 2012 que l’activisme de l’Union nationale des métiers d’art, obtiendra la reconnaissance légale de la formule, au travers des deux lois de 2014 et 2016 : si la première autonomise le métier d’art par rapport à l’artisanat, la seconde le place sous l’égide du noble triptyque « liberté de création, architecture et patrimoine ». Quatre siècles après l’installation du système des Beaux-Arts, la France joue à nouveau un rôle pionnier à l’échelle internationale des fine crafts.
Reste que toutes les questions initiales n’ont pas toujours reçu une réponse très claire. Le métier d’art a surtout obtenu de se rapprocher de la figure de l’artiste en mettant en valeur son caractère d’« activité indépendante », conduite à 86 % au sein d’une entreprise « unipersonnelle ». Mieux encore : la loi de 2016 n’hésite pas à intégrer le soutien et la valorisation des métiers parmi les objectifs de la « politique de service public en faveur de la création artistique ». Cette promotion est d’autant plus appréciable pour les intéressés qu’elle s’accompagne d’une liberté de choix du statut, qui peut être aussi bien celui d’un artisan que celui d’un artiste-auteur, d’une profession libérale que d’un salarié ou d’un fonctionnaire.
Au fond, c’est plutôt la notion d’artiste qui continue à se dissoudre dans cette nouvelle configuration car la description qui est faite en 2016 du métier d’art met plutôt le doigt sur ce qui l’assimile à l’artiste : « activité indépendante », « caractérisée par la maîtrise de gestes et de techniques en vue du travail de la matière et [c’est nous qui soulignons] nécessitant un apport artistique ». 281 métiers, du textile au verre, de la lutherie au luminaire, des jouets à la joaillerie, ont ainsi été admis dans le temple.
Le triomphe est-il total ? Pas tout à fait : le nom complet de la Biennale réunit, on l’a vu, « Métiers d’art et Création », comme si celle-ci était encore distincte de ceux-là…
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°613 du 9 juin 2023, avec le titre suivant : Vous dites « métiers d'art » ?